Encore un deuil difficile…(Histoire vraie d’un week-end et d’un lundi de permanence (*) et des 29 juin, et 12 juillet 2009 …) ,
(*): Je ne suis pas en mesure de préciser les dates, car les comptes rendus hebdomadaires d’astreinte que nous rédigions sous forme numérisée avaient été malheureusement supprimés lorsque je me suis rendu en 2017 à la DSAC-Nord pour les consulter. Ceci est d’autant plus regrettable que ces documents étaient une source inestimable pour faire revivre cette part importante de l’activité d’une Direction régionale de l’Aviation Civile! Les dates énoncées ensuite sont avérées par mes propres documents que j’ai conservés.
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Yemenia…
Ce nom évoque plusieurs souvenirs encore bien classés dans ma mémoire.
L’accident de Moroni bien sûr que je dois évoquer ici pour la compréhension de la suite…
Pendant la nuit du 29 juin 2009, un Airbus A 310 de la compagnie Yemenia Airways, immatriculé 7O-ADJ, avec 153 personne à bord dont 11 membres d’équipage s’abîme en mer au cours de son approche sur l’aéroport de Moroni (Union des Comores), à environ 8 NM (milles marins) du seuil de piste. Une fillette trouvée accrochée à un débris de l’appareil, est la seule survivante. Il effectuait un vol régulier entre l’aéroport de Sanaa en république du Yémen et Moroni. « L’accident est dû à des actions inadaptées de l’équipage sur les commandes de vol ayant amené l’avion dans une situation de décrochage qui n’a pas été récupérée », conclut le rapport.
Cet avion, je l’avais contrôlé quelques temps auparavant à Roissy-Charles de Gaulle où il avait été immobilisé suite à une panne dont la nature m’échappe aujourd’hui.
C’était l’époque où les Contrôleurs Techniques d’Exploitation (1) refusaient d’assurer les astreintes de week-end tant qu’on n’avait pas résolu je ne sais plus quel problème de prime. A noter que nous, les cadres, on accomplissait d’abord nos tâches quitte à se plaindre éventuellement après, mais bon…Je ne vais pas leur jeter une pierre trop lourde, car j’avais d’excellents collègues parmi ces agents et je fus bien content par la suite de me reposer sur eux pour évaluer certains problèmes techniques. Nous devions donc nous déplacer nous mêmes « au pied de l’avion » afin d’examiner les défaillances techniques signalées par les autorités locales, et de prendre une décision en liaison avec les responsables de la DGAC. Ces décisions variaient bien évidemment en fonction des circonstances: blocage de l’appareil jusqu’à sa remise en état de vol ce qui comportait naturellement la gestion des passagers en accord avec le gestionnaire d’aéroport et l’autorité préfectorale; interdiction pure et simple de décollage ; autorisation de départ à vide (nous disions « en ferry »), etc.
Lors de l’une de mes permanences assurée au cours des années 2008-2009, j’allai donc à Roissy-Charles de Gaulle pour inspecter cet Airbus A 310. La gendarmerie des transports aériens était présente. Je montai à bord pour saluer comme il se doit l’équipage. Là se trouvait également le personnel navigant commercial (PNC), hôtesses yéménites en costume traditionnel. Les passagers avait été débarqués et je ne me souviens plus quel fut leur sort final…
Après examen et échanges de vue avec nos services de la DGAC il fut décidé de laisser repartir l’avion vers sa base, Sanaa au Yémen, sous condition de partir en « Ferry », avec exclusivement l’équipage technique!
N’en croyant pas mes oreilles, je demandai au permanent de ma Direction Générale (j’ai oublié qui) de préciser, tout en lui faisant remarquer que le PNC pouvait être à minima considéré comme faisant partie de l’équipage et que l’on serait bien inspiré de consulter le réglement à cet égard…
Que nenni! : « Pageix, c’est comme ça! il ne part qu’avec les pilotes!«
Il ne me restait donc plus qu’à prendre mon courage à deux mains ; aussi, dans un anglais chancelant, j’allai annoncer la bonne parole au commandant de bord…
Évidemment, celui-ci écarquilla les yeux et je dus lui répéter les injonctions reçues.
Je me revois comme si c’était hier, sur la passerelle d’embarquement, pour assister à l’évacuation des hôtesses qui défilèrent devant moi en me jetant des regard assassins. Je n’oublierai jamais ces magnifiques visages déformés par des rictus de haine!
Je dus refouler ma honte lorsque les gendarmes pénétrèrent dans l’avion et le visitèrent de fond en comble pour dénicher -dans les toilettes pourquoi pas- quelque hôtesse « récalcitrante ». Effectivement, l’une d’elles se trouvait encore dans le cockpit, enlaçant le commandant et refusant de s’arracher à son cou! J’essayai de détendre l’atmosphère, bien tendue, en faisant la remarque que ces deux-là devaient nourrir des relations extra-professionnelles mais le capitaine de la GTA qui d’habitude ne manquait pas d’humour avait sans doute décidé de garder la tête froide sous sa casquette…
Après tous ces avatars, l’avion put décoller avec son seul PNT à bord, et je me souviens que je pris la précaution de rester à Roissy au moins jusqu’à une heure du matin, après avoir calculé le temps nécessaire à cet avion pour franchir notre frontière!
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Un lundi, de la même année je crois, on m’avisa qu’une hôtesse de la compagnie Yemenia avait été trouvée morte dans sa chambre d’hôtel. Ses collègues s’inquiétant de son absence au petit déjeuner la découvrirent sans vie.
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Enfin, j’eus encore à m’occuper des suites de l’accident du vol Yemenia 626 à destination de Moroni, lors d’une permanence du 12 juillet 2009.
Le crash de Moroni avait donné lieu, immédiatement, à des heurts devant l’ambassade des Comores à Paris. Au début du mois de juillet, des comoriens avaient bloqué à Roissy l’embarquement d’un vol de la compagnie Yemenia à destination de Sanaa et des manifestations du même ordre eurent lieu à l’escale de Marseille où des manifestants contraignirent deux agences de voyage, où l’on vendait des billets de la compagnie Yemenia, à fermer. Le 4 juillet, il y eut un défilé de 10000 personnes à Marseille, en hommage aux victimes et le lendemain un défilé de 5000 personnes eut lieu à Paris, exigeant l’arrêt des vols de cette compagnie à destination des Comores.
C’est dans ces circonstances pour le moins fiévreuses que l’on proposa aux familles des victimes de les acheminer gratuitement de Paris vers Moroni, afin qu’elles puissent entreprendre leur deuil.
Le dimanche 12 juillet 2009, alors que j’étais de permanence, en fin d’après midi, je reçus un appel du directeur de permanence de la direction générale, Pascal Planchon (que je ne connaissais pas) pour m’expliquer une situation pour le moins compliquée:
Les passagers comoriens avaient, comme on s’en doute, refusé d’embarquer à bord d’un avion de Yemenia qui leur avait pourtant proposé deux vols gratuits. Du coup, les assureurs de la compagnie Yemenia affrétèrent un avion d’une autre compagnie : la compagnie française Blue Line. Devenus manifestement méfiants, nos comoriens refusèrent encore une fois tout net d’embarquer sur un avion de cette compagnie. Il fallait donc à tout le moins leur démontrer que cet avion était fiable. Il s’agissait d’un Airbus A 310 immatriculé F-HBOY qui stationnait à Roissy pour l’opération envisagée.
J’appelai donc aussitôt mon collègue Frédéric Le Puil, chef de la subdivision contrôle technique au sein de ma Direction, qui me répondit aussitôt malgré l’heure tardive (près de minuit…), ce qui me permit d’envoyer un message rassurant en direction de…ma direction:
» Bonjour,
Suite votre appel, voici les éléments recueillis:
1-L’appareil affrêté est bien l’A 310 F-HBOY récemment mis en ligne début mai, qui a fait l’objet, dans ce cadre, d’une visite de conformité faite par Frédéric Lepuil chef de sub CTE d’Athis. Le reste de la flotte est d’ailleurs uniquement composé de MD 80 qui n’ont pas l’autonomie pour ce type de vol.
2-Il a fait l’objet récemment, le 29 mai dernier à Lille d’un contrôle technique d’exploitation par deux CTE de la DSAC (MM Chassagnon et Wenger) qui n’ont pas trouvé d’anomalie.
3-Le PCR de CDG m’a indiqué que l’A 310 de Blue Line, arrivé de Francfort à vide est stationné au S 31. Son départ est prévu demain matin à 9h00 locales l’embarquement devant avoir lieu au T3.
Cordialement.
Jacques PAGEIX
Direction de la sécurité de l’Aviation civile Nord
Chef de Cabinet du Directeur »
Vers une heure du matin, la conscience en repos, je quittai mon bureau (*) et « gagnai » mon lit (dans les deux sens du terme). Au petit matin, ma radio-réveil annonça la nouvelle: 75 comoriens avaient bien embarqué à Roissy et, après l’escale de Marseille où une centaine de passagers, également comoriens, embarquèrent, le décollage eut lieu à 11h30 et le vol put se poursuivre sans problème à destination de Moroni.
Ma femme se tourna alors vers moi et je lus dans son regard une certaine considération, vu qu’elle m’avait vaguement entendu dans mon bureau œuvrer la veille pour le bon dénouement de cette affaire…
Après le directeur de permanence:
Ce furent les remerciements de notre directeur général Patrick Gandil:
(*) : À Athis-Mons, à mon domicile de la Cité de l’Air, mon bureau me servit souvent de « PC-crise ». Dans certaines circonstances, je préférais aller au bureau de la DAC où je disposais des NTIC…J’y passais parfois des journées entières comme lors des épisodes de l’éruption du volcan islandais au nom imprononçable (seul, mon collègue et ami Stéphane Corcos y parvenait, ce qui nous épatait bien sûr…)
Jacques Pageix mai 2021
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