La destruction de l’aérodrome de Guyancourt

Destruction finale   

Guyancourt, la destruction. Hangars de l’ école de pilotage Brocard.

C’est fini, on rase totalement l’aérodrome pour y construire la zone pavillonnaire du quartier de Villaroy et le Technocentre Renault. L’ironie de la chose est que le centre Renault occupe le site de l’aérodrome Caudron-Renault où les moteurs de la firme automobile équipèrent les avions Caudron, Rafale et autres, et connurent ainsi leurs heures de gloire. On poussa l’ironie jusqu’à donner des noms d’aviateurs aux nouvelles rues : Jacqueline-Auriol, Roland-Garros et Santos-Dumont, les établissements scolaires ne furent pas oubliés non plus : Saint-Exupéry et Jean-Mermoz, le gymnase de l’Aviation.

Photos prises par Yves Moustey, ancien contrôileur de Toussus, qui me les adressait avec le commentaire suivant:

« Voici deux photos du premier jour de fermeture de Guyancourt. Les pelleteuses n’avaient pas tardé à intervenir ! J’avais pris ces photos en allant à Toussus prendre mon service ».

          C’était à l’intersection de la route qui passait devant le terrain de Guyancourt et de celle qui allait vers Châteaufort. (L’aérodrome à gauche des feux tricolores, et le fameux restaurant de Guyancourt à droite des feux)« .   

Episodes « post mortem »…

Même la zone « Tango » d’entraînement hélico y passe

          Cet extrait de la carte des circuits avions et hélicoptères de Toussus-le-Noble, éditée par aéroports de Paris en Juillet 1986, permet de situer la zone d’entraînement hélicoptères dite « zone Tango », qui jouxtait la limite Nord de l’emprise de l’aéroport. Les hélicoptères, quelles que fussent leurs provenances, avaient l’obligation de maintenir le contact radio sur la fréquence Tour de Toussus. Pour venir se poser à Toussus, ils devaient se signaler « verticale des pépinières », et attendre l’autorisation de « croiser » les axes de pistes et de venir se présenter sur l’aire de prise de contact commune (notée « H » sur la carte, à l’ouest de l’aérogare). Ils pouvaient alors regagner leurs stationnements privés en vol de translation.

Aprés la fermeture de Guyancourt, l’activité des hélicoptères fut maintenue provisoirement dans la zone « Tango », car on ne savait pas sur quel site la déplacer.

          Il y eut un état des lieux établis par Jean Chappert (1) sur l’activité d’entraînement hélicoptère en région parisienne. Le rapport qu’il rédigea mettait en évidence l’absence de zone dédiée à cette activité en région parisienne.

          Évidemment, les concepteurs et gestionnaires de la ville nouvelle faisaient pression pour qu’elle disparaisse une fois pour toutes. Je fus dailleurs convoqué à une réunion en préfecture organisée en petit comité (nous étions quatre ou cinq) au sujet de cette zone par le préfet des Yvelines Jean-Pierre Delpont (2). Bien sûr, Jean-Paul Alduy (3), directeur général de l’EPA (Établissement public d’aménagement de Saint-Quentin-en-Yvelines) était présent et fut très vindicatif à l’égard des hélicoptères : « pouvez-vous me dire à quoi servent tous leurs sauts de puce! »

          Boum! l’année qui suivit la fermeture de Guyancourt, Richard Fenwick se planta avec un élève après une panne suivie d’une autorotation qui se termina comme on le dit trivialement « sur le gésier ».

          Du coup, immédiatement, et prenant pour prétexte cet accident, le préfet prononça par arrêté la fermeture de la zone « Tango ».

          Cette évocation des difficultés particulières d’insertion de l’activité des hélicoptères me rappelle la suppression des arrivées nord « hélicos » pourtant très appréciées par les pilotes, suite à des manifestations à Buc organisées par le « CO.DE.LU.NA » (Comité de lutte contre les nuisances aériennes). J’avais à l’époque fait circuler ce « contre-tract » imagé. Les maires et les divers comités de défense n’ont jamais su qu’il émanait du commandant d’aérodrome de Toussus…Beaucoup plus tard, à la DAC-Nord, mon ami Pierre-Hugues Schmit à qui j’avais passé un exemplaire l’avait trouvé très rigolo ; il l’avait affiché à la porte de son bureau… Il y a sans doute prescription et je puis bien le publier maintenant! A noter que les arrivées nord par les avions venaient d’être supprimées. Elles permettait de rejoindre les circuit après un passage à la verticale de l’aérodrome pour rejoindre directement le point d’entrée « Sierra » (4).

(*): Les arrivées par le Nord également possible en avion, venaient également d’être supprimées…

Et que fait-on de l’aéromodélisme ?

       Noublions pas qu’au sud de la plate forme de Guyancourt existait une emprise dédiée aux modèles réduits, activité importante à Guyancourt gérée par l’aéroclub des Cheminots. J’ai pu autoriser les associations à venir exercer provisoirement leur activité en zone ouest de l’aéroport de Toussus. Toutefois, cette possibilité fut de courte durée (5 ans) car cette activité devint incompatible avec l’extension dans les années 1994 d’Héli-Union industrie (qui s’était installé en 1986 en zone ouest).

L’épisode du Technocentre Renault

Le Technocentre Renault, site de conception des nouveaux modèles de la firme, fut construit -ironie de l’histoire- sur l’emprise de l’ancien aérodrome Caudron-Renault, et inauguré en 1998, la construction ayant commencée en 1995. À sa tête fut nommée une directrice qui me recut pour me faire visiter son Centre un peu avant l’inauguration dans le bâtiment principal, baptisé « La Ruche ».

          Un beau matin, alors que la construction du site était bien avancée, je vis débarquer dans mon bureau le staff Renault, les architectes et autres concepteurs de l’ouvrage. Ils étaient bien marris, car ils avaient appris (je ne sais plus comment) que leurs bâtiments engageaient les servitudes radioélectriques du VOR (VHF Omni Range) installée sur l’emprise de l’aéroport de Toussus, balise utilisée à la fois pour l’approche aux instruments liée à cet aérodrome et comme support des procédures d’approche en région parisienne (base des circuits d’attente des procédures d’approche d’ Orly, et support de celles du Bourget et de Roissy). 

          Du coup, ils venaient me voir sournoisement (il n’y a pas d’autre mot) croyant pouvoir arranger leurs affaires à mon modeste niveau. Malheureusement pour eux, j’avais travaillé « dans une vie antérieure » au STNA (Service Technique de la Navigation Aérienne, au 246 rue Lecourbe à Paris) et les servitudes destinées à protéger ces installations, de deux natures (contre les obstacles et contre les perturbations radioélectrique), avaient peu de secret pour moi…

          Je mis donc sous les yeux de mes visiteurs les plans concernés en leur désignant la zone de construction du centre, qui engageaient notablement les aires de protection associées à ces aides radio.

Le Techno-centre Renault de Guyancourt.

Dans le même temps, j’appelais au STNA mon ancien collègue Henri Lallemand, le grand spécialiste en la matière, qui se saisit aussitôt de ce dossier « visqueux » (à mon grand soulagement je dois le dire!). Il confirma un dépassement inopportun de la toiture. Mes visiteurs partirent donc assez dépités, mais sans perdre bien-sûr l’espoir que les contraintes qui leur étaient ainsi dévoilées puissent être rapidement levées…

           Effectivement, après études techniques et simulations effectuées par le STNA, que je suivis pour ce qui me concerne – je l’avoue – , avec un certain détachement, on trouva une solution.

Il fut donc notifié aux architectes de revoir la forme du toit et, surtout, après négociation, Renault participa au financement d’un VOR Doppler, génération plus performante de cette aide radio, moins sensible aux perturbations créées par les obstacles environnants.

          Je n’aurait pas payé cher de notre VOR s’il n’avait servi qu’à l’approche aux instruments de Toussus…

          Je me souviens que lors des travaux, il y eut malheureusement un drame: un ouvrier, tombant du haut du « contrepoids », s’empala l’entre-jambe sur une pièce métallique…

Un VOR doppler.

……

En 1995, le calme revenu, Toussus vit la création de liaisons quotidiennes assurées par la compagnie Air Normandie en petit bimoteur (BE 58), pour acheminer vers l’usine de Valladolid des ingénieurs du technocentre Renault de Guyancourt. Ces liaisons furent mises en place avec un consultant, M. Bernard Lalanne, de Travel Consulting Group. Ceci, ajouté aux autres liaisons régulières ( jusqu’à cinq rotations par jour) assurées par Chalair dirigée par Mr Philippe Lebaron avec des King 90, 200 et Swearingen Metro sur le site de retraitement des déchets nucléaires de La Hague, me permit de « contraindre » ADP à devoir installer un service secours-incendie à Toussus (le 1er avril 1995 !)…Mais cela est une autre histoire (voir le site aériastory et mes articles sur Chalair et sur l’aérogare de Toussus et son incendie).

Je ne puis ici m’empêcher d’évoquer ici des faits qui provoquèrent une énorme frayeur…

          Au cours des années 90, les services du contrôle aérien souffrirent d’une pénurie d’effectif qui s’installa durablement, au point que nous fûmes contraints de créer un service AFIS (Air Flight Information Service) avec des personnels recrutés par une association « l’Ascendant », créée et présidée par monsieur Pierre-André Martel, un sympathique banquier, Directeur Général de Marceau Investissements pilote et propriétaire d’un avion basé à Toussus-le-Noble.

          Des agents furent recrutés, formés, et prirent leur service à la tour auprès de leurs collègues contrôleurs aériens (ou du moins ce qu’il en restait…). À Monsieur Trimaille (société TAF, Trimaille Aéro Formation, installée en zone Ouest) revint le soin de recruter selon nos critères, après un examen, et de gérer ces agents (il y eut Melle Dalila, Mr Chaabi, etc, toutes et tous sympathiques pilotes, déjà expérimentés, et qui purent donc être formés rapidement. À noter toutefois que ces agents ne pouvaient exercer des fonctions de contrôle et que leurs tâches se « limitaient » à l’information de vol. On comprendra donc – sans nier les qualités des agents en place-, que le service de contrôle de Toussus fonctionna ainsi de longues années en mode dégradé avec des périodes (le matin et le soir) sans contrôle, dites d’auto-information, où les équipages annonçaient leurs positions. Pendant ces créneaux, les départs et arrivées IFR (règles de vol aux instruments) furent gérées un temps par Orly qui délivrait les autorisations de contrôle correspondantes. Un matin, Orly autorisa un Swearingen Metro de CHALAIR à se poser en piste 26 droite, tandis que le B58 d’AIR NORMANDIE s’alignait sur la piste 08 gauche avec la bénédiction  d’un contrôleur d’Orly qui opérait sur la position départ qui n’était manifestement pas coordonnée avec le poste arrivées. Hé oui cela fut possible! Les deux avions se trouvèrent en l’air face à face et ce fut je crois le Swearingen qui plongea sous le Beech 28! Nous frôlâmes la catastrophe car ces avions transportaient une bonne douzaine de cadres de la Cogema et du Technocentre…

Épilogue

J’ai longtemps hésité sur le titre à donner à ces souvenirs peu glorieux, visant à relater la disparition de Guyancourt, orchestrée (de main de maître) par « nos » technocrates et politiciens. Pour la plupart d’entre eux, ils n’étaient que des « oiseaux » de passage (préfets, directeurs généraux, etc.), sans crainte pour leur propre lendemain.    

Cela explique probablement, pour une part, leur détermination (et parfois leur hargne) à provoquer insidieusement ce que j’appelais à l’époque « une strangulation urbaine » autour d’un aérodrome non protégé par des textes opposables, et n’ayant pour défense que celle de ses usagers, pilotes, sociétés et aéroclubs.

Mon vœux le plus cher est d’éviter qu’un « confortable oubli » ne s’installe au fil des ans à propos de ces événements que l’on ne peut évoquer qu’avec tristesse.

….

On me pardonnera, je l’espère, d’avoir un peu trop laisser vagabonder ma plume et ma mémoire ; on trouvera en effet que ceci relève davantage d’une conversation débridée -telle que celle qu’on tient au coin du feu-, que d’un récit correctement structuré. Mais l’essentiel n’est-il pas de faire revivre, même modestement et de manière un peu désordonnée, tous ces souvenirs qui nous ont tant marqués?

 In memoriam, Jacques Pageix décembre 2021

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Notes

(1) : Jean Chappert, ingénieur général des Ponts et Chaussées, mon ancien directeur de l’Aviation civile Sud-Est à Aix quand j’étais en Auvergne.

(2) : Jean-Pierre Delpont, préfet de 1986 à 1993.

(3) : Jean-Paul Alduy, ingénieur général des Ponts et Chaussées, directeur général des services de la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines de 1988 à 1993, partira ensuite pour Perpignan ou il se fera élire maire et sénateur. Sa mère Jacqueline l’était déjà et son père Paul l’avait précédé à la mairie de Perpignan…De père en fils, quel clan! Son épouse était directrice de presse (Le Monde) et de télévision (FR3). Il était un farouche opposant aux avions et surtout aux hélicoptères.                    

(4) : Commentaire d’Yves Moustey, ancien contrôleur à Toussus:  « Tu as raison pour la zone Tango. Je ne l’ai pas connue en tant que contrôleur. Elle a été supprimée alors que j’étais encore au Bureau de Piste.

Je me souviens aussi des « Pépinières » en bordure Nord de la piste 25D, où l’on faisait attendre les hélicos avant de les autoriser à « couper les axes » et parfois « Couper le premier axe, le premier seulement ! » parce qu’un avion était en finale 25G, avec bien sûr le risque qu’un hélico se trompe et ne coupe quand même les deux pistes…Ce qui est évidemment arrivé ».

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Sources

– « Hélène Boucher » par Roland Tessier, Flammarion, illustrations de Paul Lengellé, 1943;
– « Les ailes d’une administration », par Vital Ferry et Pierre Lauroua, Bleu ciel Éditions, 2011, coll. Mémoire de l’Aviation Civile ;
-Notes dactylographiées de Jacques Devaux (vers 1985), en particulier:
« Documentation sur la vie et la carrière de l’Aviatrice Hélène BOUCHER » ;
-Documents et photos Jacques Pageix;
-Joseph Blond (président d’honneur de l’Aéroclub de France, président de l’Association des Amis du Service Historique de l’Armée de l’Air, écrivain et conférencier), que j’avais reçu plusieurs fois à Toussus, évoquait lui aussi la disparition de Guyancourt dans des plaquettes qu’il me remit, comme « Versailles, berceau de la conquête de l’air ».

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Jacques Pageix. Août 2020 et novembre 2021.
Fin de la troisième et dernière partie.