J’ai vécu la fermeture de Guyancourt (samedi 30 septembre) et…l’ouverture d’Étampes (dimanche 1er octobre 1989).

Avant-propos

L’aérodrome de Guyancourt possédait (1) un riche passé ; un auteur éclairé pourrait lui consacrer une notice détaillée. Pour ma part, bien incapable d’en retracer l’histoire, je vais devoir me contenter, modestement, d’évoquer mes premiers vols à Guyancourt et les moments vécus lors de mon séjour à Toussus-le-Noble où je fus le témoin des derniers soubresauts de ce terrain d’aviation malheureusement disparu. Sans oublier bien sûr de rappeler son activité, le combat mené pour sa survie, et sa fermeture à laquelle j’ai assisté au cours d’un week-end peu ordinaire…

(1) : à l’imparfait, hélas, puisque cet aérodrome n’existe plus.

Dernier atterrissage d’Hélène Boucher dans la brume à Guyancourt,
le 30 novembre 1934
Belle aquarelle de Paul Lengellé (col.pers.).

Un peu d’histoire…

Faisons au moins un rapide inventaire du riche passé de cet aérodrome: il fut créé par la société Caudron, constructeur d’avions dont l’existence remonte à 1909 (on connaît les fameux Caudron G3 de la Grande Guerre et l’on se souvient de l’atterrissage de Jules Védrines le 19 janvier 1919 sur le toit des galeries Lafayette…). Cette société acheta les terrains en 1930 pour y installer ses bureaux et ses hangars. Elle s’attacha les services d’un ingénieur aérodynamicien, Marcel Riffard, dont le génie donna naissance à des avions fins et racés. Tout en conservant son nom, la société Caudron fut rachetée en 1933 par le constructeur automobile Renault qui fournira les moteurs montés sur tous les avions sortant des ateliers: le Caudron « Rafale » piloté par Hélène Bouchet (qui se tua le 30 novembre 1934 lors d’une remise des gaz en approche), le Caudron « Simoun » (exploité par Air Bleu, filiale d’Air France pour le transport aérien de la poste) et, plus tard, le Caudron « Goéland » exploité par la compagnie générale aéropostale (ce bimoteur fut piloté par Antoine de Saint-Exupéry).

         La vie de cet aérodrome fut donc jalonnée d’exploits et de records (vitesse, et distance comme le raid Paris-Saïgon-Paris).

Avant Guyancourt sévissaient déjà les riverains… Leur hostilité est une vieille affaire…

                    Vers 1905, de valeureux pionniers de l’aviation s’installèrent sur le plateau de Villaroy, au sud de Versailles. À la fois pilotes et constructeurs, ils se fixèrent sur trois sites voisins où chacun créa son propre aérodrome, avec piste et hangars. À Toussus-le-Noble, ce fut Esnault-Pelterie, puis les frères Farman qui y prospérèrent. À  Châteaufort, le constructeur Borel n’eut qu’une existence éphémère tandis qu’à Buc, Blériot, tout auréolé de sa traversée de la Manche en 1909, développa son aéroparc ; cet aérodrome subsista jusqu’aux années 1960, utilisé par l’ALAT (Aviation légère de l’armée de terre). Quant à l’aérodrome de Guyancourt, principal objet de ce récit, il naîtra beaucoup plus tard, en 1930.

Au cours des années 1910, l’activité aérienne ressemblait déjà à une véritable ruche ; tous ces pilotes, chevauchant ces « trapanelles » bourdonnantes, décollaient et atterrissaient pour accomplir des vols d’essai, d’école ou de loisir, tournoyant dans le ciel sans aucune réglementation établie, risquant parfois leur vie dans des atterrissages de fortune, ou victimes de chutes inexorables, provoquant immanquablement des dégâts aux cultures…

Un article paru en 1989  dans « Miroir », revue de l’écomusée de St-Quentin en Yvelines, m’a notablement amusé. L’article, présenté sous forme de dossier, porte le  titre « 1911, un paysans de Guyancourt défie les pionniers de l’aviation » !         Décidément, l’hostilité des riverains ne date pas d’hier, qu’on en juge plutôt :

Le cadre de ces événements était la ferme de Villaroy, que j’ai connue dans les années 1980 ainsi que son propriétaire, Monsieur Bally, agriculteur, homme paisible et courtois, titulaire d’une concession avec ADP pour cultiver sur l’emprise de l’aéroport de Toussus, comme Mr Thierry à Toussus et Mr Bonlieu à Châteaufort. Nous renouvelions chaque année leurs baux et j’entretenais il est vrai de bonnes relations avec eux.

En 1911, Monsieur Augustin Heurtebise, agriculteur propriétaire de la ferme de Villaroy, ancêtre de Mr Bailly, intenta un procès à l’encontre des responsables des écoles d’aviation. Cet Heurtebise n’était manifestement pas l’ange de la pièce « Orphée » de Jean Cocteau. Ulcéré par le manège lancinant des avions autour de sa ferme, il avait aussitôt disposé un réseau de pylônes anti-grêle baptisés « niagaras électiques » ! Il pensait ainsi repousser les avions ou tout au moins entraver leurs évolutions à basse hauteur !

J’ignore quelle fut l’issue de ce procès à rebondissements, sinon qu’on implanta d’autres pylônes -plus inoffensifs ceux-là- destinés à délimiter une zone d’interdiction autour de la ferme de Villaroy. J’ajoute qu’en 1914, la municipalité de Guyancourt elle-même se plaignait du bruit des avions !

Plus tard, en 1930, fut créé sur ce même plateau un autre aérodrome : Guyancourt …

Vue aérienne de l’aérodrome de Guyancourt tel qu’il apparaissait peu avant sa fermeture avec ses deux pistes convergentes: Piste mixte en herbe et en dur  06/24 et bande gazonnée 09/27.

Mes plus vieux souvenirs de Guyancourt (1965-1973)

          Mon propos je le répète n’est pas d’entreprendre un récit historique pour retraçer la naissance, la vie et la mort de cet aérodrome, qui dut sa notoriété à ces valeureux  pionniers de l’aviation qui y ont laissé l’empreinte de leurs exploits, trouvant parfois la morts, comme Hélène Boucher un matin de novembre 1934.

          Parmi les pilotes de renom qui fréquentèrent Guyancourt, on peux citer Maurice Arnoux, Hélène Boucher bien sûr, formée aux courses de vitesse par Raymond Delmotte et à la voltige (on disait alors l’acrobatie) par Marcel Détroyat. Ajoutons Maryse Bastié et … Joséphine Baker qui y fut initiée au pilotage en 1935 par l’instructeur Henry Demay sur un Caudron Luciole. Elle obtint son brevet en 1937!          

          Je me demande parfois pourquoi Guyancourt ne fut pas classé monument historique. Mais comment lutter contre l’éclosion des « villes nouvelles »?

          J’ajoute aussi que lors de la campagne de France en 1939-1940, nos valeureux pilotes, qui ne connurent pas quant à eux la « drôle de guerre » furent engagés dès le début des hostilités sur du matériel déjà surclassé, l’ensemble des pilotes faisant preuve d’une supériorité reconnue sur l’adversaire, ce qui valut aux groupes aériens, combattant souvent à un contre dix, un palmarès de plus de mille victoires dont l’Armée de l’Air française peut s’enorgueillir.  L’expérience et l’habilité acquises sur tous ces terrains d’aviation, où les écoles et aéroclubs leur ouvraient leurs portes, n’y fut pas étrangère…Dans son groupe, mon père avait un camarade, Pierre Genty, qui abattit le trente septembre 1939 deux ME 109, premier doublé de la guerre. Il s’était perfectionné à l’école Farman de Toussus en y bénéficiant de la formation au vols au instruments selon la méthode de Lucien Rougerie qui fut exportée au États-Unis. Un autre as, Hubert Boitelet que j’ai connu Président de l’aéroclub de Bergerac, était issu de la patrouille d’Étampes…

                    Voici donc quelques souvenirs liés à Guyancourt. Ce récit ne sera donc qu’un modeste devoir de mémoire pour évoquer ma brève fréquentation de cet aérodrome malheureusement disparu, pour raconter quelques faits à son sujet, le combat mené pour sa survie et les péripéties qui accompagnèrent sa fermeture, péripéties vécue à Toussus au cours d’un week-end de permanence, le 1er octobre 1989.

……..

                    Je découvris Guyancourt pour la première fois en 1963 à l’occasion d’un vol en double commandes, sur un Stamp SV4 de l’aéro club du Service de la Formation Aéronautique implanté sur cet aérodrome, avec mon ami Jacques Dumont. Il m’emmena un autre jour à bord du NC854 qu’il appelait  « ma bicyclette »…

Un Stamp SV4 à Guyancourt.

Le NC 854, bi-dérive, biplace côte à côte.

À cette époque, à Guyancourt, on croisait encore de vieux Nord 1001 et 1002, dérivés français du Messerschmitt Bf108 « Taifun » allemand construit vers 1936. À ces vieux avions encore utilisés par le Service de la Formation Aéronautique (SFA) s’ajoutaient les Moranes 733 Alcyon et les Stamps SV4.

          On y trouvait des clubs très actifs : Brocard, les IPSA (Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air), Dassault et Les Cheminots pour n’en citer que quelques uns.

Plus tard, après les deux premières années de cycle d’ingénieur à l’École nationale de l’aviation civile (1ère année 1967/68 à Orly avec l’obtention du brevet de pilote privé au centre de vol à moteur du SFA de Carcassonne sur Stampe SV4 et Zlin 326, et deuxième année 1968/69 à Toulouse dans la nouvelle école construite sur le complexe aérospatial de Lespinet), ce fut la 3e année 1969/1970, année de stages, partagée entre le Centre de Contrôle Régional Nord (CCR-N) à Athis-Mons et la Direction des Opérations aériennes d’Air France à Orly lors de l’arrivée des Boeing 747. Avec mon condisciple Jean-Louis Grillet, nous volions en ces temps-là à Guyancourt sur les MS 892 du SFA.   

Alignement  de Morane-Saulnier MS 892 du SFA dans le petit matin blême… (très mauvaise photo prise vers 1970)

La page de renouvellement de mon carnet de vol porte les signatures du chef de centre, Monsieur Charles Sanz de Alba et du chef pilote Monsieur Raymond Maritaud;  je les retrouvais à Melun en fin d’année 1972 après le transfert du centre. Le SMFA, Service du Matériel de la Formation Aéronautique, demeurera quant à lui à Saint-Cyr l’École. Nous volions dans la région sur les Morane-Saulnier 892. Je me souviens que nous décollions sans nous soucier de la proximité de Toussus…Que je « découvrirai » une dizaine d’années plus tard, en septembre 1982, lors de ma prise de fonction de Commandant d’aérodrome….

Mon premier carnet de vol de « très jeune » pilote, arrêté pour renouvellement à la date du 13 octobre 1970, visé par le chef pilote Raymond Maritaud et par le chef de l’aérodrome Le Berre. Jusque-là, je volais encore à Guyancourt…

Au retour de mon séjour africain (1970-1972) à l’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation aérienne en Afrique et à Madagascar) où je fis aussi quelques vols, je fus affecté en mars 1972 au STNA (Service Technique de la Navigation Aérienne), cité de la convention, 246 rue Lecourbe, Paris 15e.

Agents brevetés pilotes, nous fûmes autorisés à voler à Guyancourt jusqu’à concurrence de 10 heures annuelles. Comme nous volions toujours en binômes, nous parvenions à réaliser une vingtaine d’heures de vol…

          Par décision, le Chef du Service de la Formation Aéronautique (SFA), Monsieur F. Gautier, les pilotes suivants sont admis à s’entraîner au pilotage au C.P.L.A. de Guyancourt:

          Astégiani (contrôleur aérien, Brun, Vallée, Dessagne, Grass, Meszaros, Halleux et Pageix (ingénieurs):

Une deuxième décision du 30 mai 1972 ajoute à la liste Levesque et Michel, ingénieurs de la promotion ENAC 1967:

En fin d’année 1972, le SFA (Service de la Formation Aéronautique) fut transféré à Melun-Villaroche et, non sans avoir regretté Guyancourt, à la fois  bucolique et plus proche de Paris où nous travaillions, nous dûmes nous rendre à Melun-Villaroche. Nousy retrouvâmes nos chers avions et notre chef pilote Mr. Maritaux ; nous y poursuivîmes nos entraînements et nos navigations, toujours sur les Morane MS892, puis MS893. Plus tard, au cours des années 80, nos vols se firent sur le Wassmer « Guépard » CE 43, sur le Robin 2160 que nous surnommions le « coupe-racines » à cause de sa quille anti-roulis, sur le HR 15 et enfin sur les Socata TB20 « Garmin ». Le SFA avait également quelques Beechcraft Baron 28 et les avions du contrôle en vol des aides radio (STNA).

Au cours de mon séjour au STNA, j’eus la chance de « décrocher » un stage de pilote des corps techniques à Challes-les-Eaux au printemps 1973 (l’équivalent du pilote professionnel). J’y retrouvai pour la mania et voltige les Zlin 326 connu lors de mon stage de pilotage à Carcassonne en 1968, les Stampes et, surtout, je découvrais pour les « Nav », le fameux MS 733 « Alcyon ».  

Jean-Louis Grillet mon camarade de promo (1967) à Challes-les-Eaux, 1973. Le Morane 733 « Alcyon » vu de profil.

Je suis fier de poser devant la « belle gueule » du Morane-Saulnier 733 « Alcyon » ( été 1973)
Certaines mauvaises langues appelaient « Le péril jaune », cet avion un peu lourdaud mais très solide.
Stage de pilote des corps techniques, Challes-les-Eaux.
(3 mois de stage; Mania sur Zlin 326 et Nav sur MS 733).

Beaucoup plus tard, en septembre 1982, prenant mon commandement de l’aéroport de Toussus-le-Noble, j’y trouvais des conditions très favorables pour voler. En effet, je bénéficiais alors de la flotte d’Aéroports de Paris basée à Orly avec ses Moranes 893 et ses Robin 2160 mis à sa disposition par la DGAC. Nous avions la possibilité de les utiliser pour nos missions ou l’entraînement aérien. Ainsi, je basais de temps à autres un avion à Toussus pour l’entraînement des personnels et pour les permanences de week-ends et jours fériés qui couvraient les dix aérodromes d’aviation générale et l’héliport. Pour cela, l’accès à Orly devait avoir été préalablement obtenu par une décision sanctionnant un contrôle en vol, appelée « qualif D ». Je la passai avec Georges Cousteau, pilote inspecteur, qui me fit atterrir à Orly et me laissa repartir vers Toussus par le « transit VFR sud ». On peut voir ci-après la carte de ce cheminement VFR et les accès à Orly où nous disposions d’une piste en herbe orientée 06/24, avec la possibilité parfois de nous poser en piste revêtue 02/20, avant l’intersection avec la 08/26 (on se servait des freins!…). Je me souviens des courtes finales au-dessus du parking de l’hypermarché sur lequel étaient d’ailleurs implanté les feux de la ligne d’approche de la piste 20…

Nous devions veiller surtout à éviter les turbulences de sillage des 747 et autres « jumbo ». Ces recommandations n’étaient pas superflues car l’un de nous, un jour, fut retourné comme une crêpe par l’effet des vortex créés par les puissants réacteurs et les extrémités d’ailes, pour ensuite se rétablir miraculeusement…

  La carte du transit sud : RBT-Limours-Marcoussis-Travers Sud-etc …

À Orly-Parc central, le responsable était Mr Rivelon et le mécanicien était Mr Pirès, venu de la compagnie TAT. Le chef pilote était mon ami Pierre Alfred, pilote du bimoteur « Duke » d’ADP et qui deviendra, lors de sa retraite, pilote du compositeur et chanteur Michel Legrand que l’on croisait souvent à Toussus (mais cela est une autre histoire…).

Je n’en continuai pas moins à voler avec mes collègues pilotes du groupe ADP sur les avions du SFACT à Melun-Villaroche (Michel Yérémiyew, Jacques Roger, etc).

« Qualif D » 7 février 1983 visée par Ronald Vianey notre deuxième pilote inspecteur, par Jean Paul Sautrot, le « patron » d’Orly, et Robert « Bob » Marschall, adjoint du chef du service Aviation Générale d’ADP, Jean Pierre Randuineau. 

Le transit Sud vu par notre pilote inspecteur, Georges Cousteau (27.02.1984)…

J’ai évoqué par ailleurs la mémoire et les talents de dessinateur humoriste de Georges Cousteau, dit « Jojo », pilote inspecteur, qui illustrait ainsi ses rapports par des dessins percutants qui « valaient mieux que de longs discours ».

Les circuits VFR d’arrivées et de départs d’Orly. Le transit s’effectuait à 1300ft QNH.
Nous utilisions les pistes 02 revêtue (avant l’intersection avec la 08/26) et 06/24 en herbe.

Ce transit sud, tout comme le transit nord, permettait de faire ce que nous appelions le tour de Paris et de joindre tous les aérodromes d’aviation générale sans faire un important détour. L’accomplissement de la totalité du cheminement autour de Paris était un excellent exercice et l’on n’avait pas le temps de chômer (tenue de cap et d’altitude, contact radio quasi-permanent, etc). Le transit nord était plus délicat (1000ft seulement, entre Chelles et le carrefour d’Herblay, avec survol des habitations, et passage du canal de l’Ourcq (seul point de « recueil » en cas de panne…), puis passage sur l’aéroport du Bourget où nous pouvions aussi nous poser…

Lors de mon arrivée à Toussus, mon regretté chef du service Aviation Générale, Jean-Pierre Randuineau, me fit participer à un projet d’extension au VFR de nuit de ce transit. Cela se termina par un échec cuisant, lors d’une réunion chez le sous-préfet de Palaiseau. Ce sosie de l’acteur Dufilho, qui élevait des pigeons, se leva brusquement plusieurs fois pour les nourrir et rattraper quelques volatiles qui s’étaient échappés! Malheureusement, ce distingué colombophile ne voulut point ce jour-là voir plus loin que les limites de sa volière, ignorant notre passion pour nos propres volatiles… nos chers avions!

Ci-dessus, le Robin R2160 de la permanence avec en arrière-plan le bloc technique et l’aérogare (« l’Isba »).

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Jacques Pageix. Août 2020 et novembre 2021.
Fin de la première partie.