Disparition de Guyancourt, vécus à Toussus-le-Noble.

On parle de fermeture et l’on cherche un remplaçant…
Un processus simple, éprouvé, et… inexorable!

Lisons la presse de l’époque:

          « L’aérodrome de Guyancourt (Yvelines), l’une des plates-formes d’aviation légère les plus actives de France, doit disparaître. La décision, non encore annoncée officiellement, a été prise en 1981 par Charles Fiterman, ministre des transports, à la requête des élues de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines et du maire de Guyancourt, M. Roland Thébault. Seuls les délais restent à fixer, car le ministère des transports ne souhaite pas supprimer Guyancourt avant d’avoir trouvé un aérodrome de remplacement« .

Le processus est simple, éprouvé et… inexorable : une décision politique est prise pour la fermeture sans fixer de délais. L’aérodrome est alors livré à lui-même et, faute d’avoir été doté de servitudes opposables aux tiers comme c’est le cas pour les autres aérodromes, il est peu à peu cerné par les constructions dont les habitants ne tolèrent plus le voisinage des avions et créent des associations de défense contre les nuisances, s’exprimant la plupart du temps de manière virulente. Quelques accidents que j’évoquerai plus loin (surtout la chute d’un avion le 6 juin 1983 sur trois maisons) viennent émailler le cours des choses et hâter le funeste destin de l’aérodrome.

          En effet, Guyancourt ne disposait évidemment pas d’un plan de servitudes lui assurant une protection contre les obstacles, dispositions réglementaires découlant d’un APPM (Avant projet de plan de masse), et devant être prises en compte dans tous les documents d’urbanismes : schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme et plans d’occupation des sols (actuels PLU). La volonté de fermer ce terrain était donc un état de fait ; à Guyancourt, rien ne pouvait donc empêcher des constructions de s’ériger en toute légalité jusqu’aux clôtures de l’emprise… C’est ainsi que peu à peu des zones pavillonnaires se sont installées y compris sous les axes de décollage et d’atterrissage. Entre le souhait exprimé par les autorités (État, Établissement Public et communes), émis dès 1981, et la fermeture effective en 1989, l’urbanisation qui avait commencé très tôt a donc pu s’étendre impunément tout au long de ces années.

Cette fermeture annoncée un moment pour les années 70 provoqua comme on l’a vu en fin d’année 1972 le déménagement à Melun du SFA (Service de la Formation Aéronautique), bien obligé de montrer ainsi l’exemple…

À la recherche d’autres sites et pour terminer…Étampes

On se lança dans la recherche d’un aérodrome de remplacement, à construire sur un site qui restait à trouver. Du coup, une mission d’étude fut confiée à mon regretté camarade Jean-Paul Sautrot, (ingénieur de l’ENAC promo 68, alors chargé de mission à ADP après avoir été le « patron » d’Orly).

Il établit un dossier complet sur le site de Sonchamp avec plan de masse, travaux d’aménagement, étude d’impact et j’en passe…Malheureusement, il se trouvait dans le périmètre du parc naturel régional de la haute vallée de Chevreuse en voie de création! Pourtant, il présentait un atout majeur par son isolement au milieu des champs de culture et il aurait donc pu convenir. Jean-Paul avait coutume de dire à propos des sites prospectés en zone agricole non encore urbanisée:  « Les betteraves n’ont pas encore le téléphone! ». Je me souviens d’avoir survolé  avec lui plusieurs fois la région avec notre 2160. Je crois me souvenir aussi que Sonchamp ne fut pas le seul site envisagé.

Suite à cet échec qui solda la recherche d’une plate forme de remplacement de Guyancourt dans la région, ADP fut chargé d’aménager l’aérodrome d’Étampes-Mondésir jusque-là réservé à usage restreint. Là était une ancienne base aérienne qui vit entre les deux guerres l’activité de la prestigieuse « Patrouille d’Étampes », patrouille acrobatique, qui précéda notre « Patrouille de France »…

Il fut donc décidé qu’ADP se verrait confier la gestion de cet aérodrome, dans le cadre d’une convention classique, dite « L 221 »; c’était la seule possibilité, du fait que cette plate forme se trouvait en dehors du domaine de compétence attribué à ADP par le décret interministériel du 21 avril 1949 (cercle des 50 km autour de Notre-Dame de Paris), décret pris en application de l’ordonnance du 24 octobre 1945 du gouvernement provisoire de la République française qui créait l’établissement public autonome Aéroports de Paris et lui confiait la mission de développer l’activité aéroportuaire dans la région parisienne.

ADP réalisa des travaux conséquents sur l’aérodrome pour y accueillir les clubs de Guyancourt ; il construisit une tour de contrôle, des hangars, un parking avions et une piste revêtue avec ses taxiways d’accès.

          On anticipe le transfert des sociétés

Les usagers de Guyancourt vécurent il est vrai une période d’incertitude et d’angoisse, car ADP mena très tôt une politique malthusienne qu’il appliqua drastiquement à l’égard des sociétés et associations susceptibles de venir sans autorisation à Toussus, politique au demeurant peu licite, qui provoqua quelques discussions acerbes avec les intéressés. ADP répondait que le trafic de Toussus étant limité à 180000 mouvements annuels (en vertu de l’arrêté du 23 novembre 1973), avec une répartition -ô combien théorique- de 120000 mouvements  d’aviation d’affaire et de transport et de 60000 mouvements réservés à l’aviation légère. À l’époque, on pouvait « craindre » en effet un surcroît conséquent d’activité d’aviation légère « au détriment » de l’activité de transport et d’affaire, activité jugée structurante pour cet aéroport dont c’était -aux dires des autorités- la vocation à préserver.

          Dans cette perspective, il fut interdit aux clubs d’aviation légère de venir à Toussus. Pour eux, le choix devait se porter sur Étampes. Seules les sociétés agréées pour le transport aérien furent admises à s’installer à Toussus. À partir de 1980, l’on vit donc venir à Toussus Brune Air Service, Professionnel Air Système (PAS) Exécutive Transport, Allaintair, l’ACOP (Troalen), etc. Ces sociétés trouvèrent des locaux d’accueil en zones Sud et Est ou construisirent en zone ouest. Évidemment, et je m’en souviens bien, on pouvait craindre à juste titre que les pratiquants quant à eux, dissuadés par la distance entre la région de Versailles et Étampes, n’aillent s’inscrire et voler dans les clubs des aérodromes voisins, Saint-Cyr et Chavenay, ou venir grossir la masse des adhérents des clubs de Toussus.

          À Toussus, j’avais reçu bien avant la fermeture de Guyancourt plusieurs sociétés en provenance de cet aérodrome:

          L’ACOP, Aéro-Club de l’Ouest Parisien, depuis 1982 à Guyancourt, était une école agréée IFR en 1989, avec sa Présidente Mme Christine Ascione, et son chef pilote, Michel Troalen. Il créèrent l’ADAGE (Association de Défense de l’Aéroport de Guyancourt et de son Environnement) qui se transforma en ADATE à Toussus, et publièrent une tribune sur l’environnement. Dans l’un de ses articles, il évoquait sa visite lors de son installation: « Je me souviens de l’accueil, chaleureux par ailleurs, de monsieur Pageix, lorsque nous sommes arrivés de Guyancourt le 2 octobre 1989: je lui avait dit: « Monsieur Pageix, je suis très content d’être ici, et j’espère que nous ne connaitrons plus jamais ça », et il m’avait répondu, et ça m’a marqué: « oh, monsieur Troalen, il faut être très vigilant »…

           J’accueillis aussi la société Brune Air Service et son directeur, Jean-Pierre Brune, qui s’installa en zone Est de Toussus. Malheureusement, lors du convoyage d’un avion monomoteur acheté aux Canada, il sombra en mer au large de Reijavick (des vents contraire lui avaient fait consommer plus que prévu. La panne survint à une dizaine de milles nautiques  de Reykjavik. Un avion de recherche repéra le lieu du drame mais ne pu rien faire. Je reçus peu après son épouse ; seule à la tête de sa société, elle lutta courageusement pour la maintenir à flot cette compagnie, mais ce fut en vain.

Jacques Noetinger consacra une belle page à ce chef d’entreprise:

Jean-Pierre Brune
tragique destin

« Il y a un an, le 24 janvier 1986, un équipage convoyant un monomoteur du Canada vers la France, connaissait la plus atroce des tragédies. Jean- Pierre Brune et Jean-Jacques Deniau avaient, en professionnels, préparé leur traversée avec le plus grand soin. L’avion, parfaitement équipé, regorgeait de carburant. Mais le temps était épouvantable. Les aérodromes du Groenland, où une étape était prévue, étaient fermés. Avec une marge de sécurité de 50 minutes, tout portait à croire que Reykjavik, en Islande, serait atteint sans difficulté. Le vent de face se fit plus violent encore, atteignant la force 8 ! La vitesse sol diminuait, les jauges accusaient une consommation irrémédiable. J.-P. Brune dut bientôt se rendre à l’évidence: seul un miracle pouvait le sauver de la panne d’essence, avant d’atteindre la côte. Pendant cette inéluctable tragédie, il se montra digne de sa réputation d’homme lucide, réfléchi, courageux et conscient de ses responsabilités. Avec calme, il multiplia les messages radio, techniques… et personnels pour les familles que le drame allait frapper. Mourir aux commandes, pour un pilote est un voeu fréquent mais qui peut souhaiter cette lente agonie ? Jean-Pierre Brune, passionné de technique, avait été formé comme mécanicien dans l’Aéronautique Navale en 1973. Mécanicien civil, puis responsable technique, il avait marqué de son empreinte successivement  « Delmotte Aviation » à Marignane,  » Air-Affaires-Gabon  » à Libreville,  » Air Antilles »  puis  » Air Guadeloupe  » à Pointe-à-Pître, avant de créer  » Brune Air Service « , dynamique concessionnaire Cessna en 1980, puis  » Air Ile de France » en 1983. Mais que d’amis ne s’était-il pas fait comme directeur aéronautique du Rallye aérien Toulouse-St-Louis du Sénégal ?.. Seul l’Atlantique déchainé pouvait avoir raison de lui à 34 ans ».

Texte et croquis J. NOETINGER .
Air & Cosmos n° 1127 du 24 janvier 1987

          J’ai bien connu à Toussus Jacques Noetinger que je rencontrais lors de ses visites et plus souvent au bureau de piste où il venait préparer ses vols. Il m’adressait immanquablement ses vœux chaque année avec une belle carte ; il dessinait à merveille.

Jacques Nœtinger 1919-2012 pilote, journaliste et écrivain et…excellent dessinateur comme on peut en juger avec cette belle carte de vœux. C’est lui qui, au cours d’un meeting aérien qu’il commentait baptisa la patrouille de l’Armée de l’air « Patrouille de France ».

Autres souvenirs du temps de Toussus (septembre 1982-octobre 1989)

Une histoire drôle (Facéties de contrôleuses …)

          L’avant dernier commandant était Roger Prince (voir la photo ci-dessous). Je me souviens qu’il demeurait rue de Satory où il m’avait invité. Cela m’avait rappelé des souvenirs, moi qui avait habité impasse des chevau-légers de 1947 à 1953 dans un appartement dont le propriétaire était de Fouquière, le commandant du groupe de chasse 1/5 « Champagne » où se trouvait mon père qui en était l’officier mécanicien.  Ce qui est extraordinaire, c’est que le fameux Prince me raconta qu’il termina la guerre dans le même groupe!

Jacques Devaux et Roger Prince échangeant leurs adresses.
On le surnommait « Le Petit Prince » pour le distinguer de son frère
« Le Grand Prince », contrôleur à Toussus, avec qui il était un peu brouillé.

Cette anecdote m’a été racontée par une ancienne contrôleuse de Guyancourt. Une soir où elle terminait son service avec une collègue, Roger Prince monta à la vigie pour je ne sais quelle raison et nos deux complices appelèrent son attention sur une chose anormale qu’elles auraient aperçue sur la piste. Elles avaient préalablement trempé dans un tampon encreur les oculaires de la paire de jumelle qu’elles posèrent debout sur le pupitre. Notre chef d’aérodrome s’en empara aussitôt et les vissa sur ses paupières… »Je ne vois rien » dit-il. « Ah bon, regardez mieux, car il nous a pourtant bien semblé… », répondirent-t-elles en cœur…

          Cette pauvre victime de Prince qui pour le coup ne portait plus très bien son nom ne s’aperçut de rien et redescendit dans son bureau avec les yeux cernés d’un panda qu’il conserva probablement jusqu’à son domicile au grand étonnement probable de son épouse…

Remarque: quelques unes parmi ces contrôleuses furent mutées à Étampes-Mondésir et, lors de ma venue en avion les week-ends de permanence pour effectuer quelques enquêtes-accidents, elles m’accueillaient la tâche accomplie à la vigie pour un thé-goûter bien mérité…La cheffe d’aérodrome était alors Mme Valérie Vauthier, également ancienne contrôleuse de Guyancourt.

…et de moins drôles…

Quelques accidents spectaculaires :

Le 1er juin 1983, un avion de tourisme piloté par un jeune stagiaire heurte les toits de trois maisons au décollage. Le pilote s’en sort avec quelques égratignures.

L’accident déclenche une polémique entre les élus et les défenseurs de l’aérodrome comme Mr Volan, alors président de l’ADAGE (Association de Défense de l’Aérodrome de Guyancourt et Environs). Les maires, Roland Nadaus, maire de Guyancourt; René Vandamme, maire de Montigny-le-Bretonneux, sont reçus dès le lendemain par le préfet des Yvelines qui déclare, selon le journal « Le Monde » : » Il est urgent de déplacer la plateforme de Guyancourt. Cette situation ne peut plus durer « .

Je me souviens de deux autres accidents tout aussi spectaculaires sans pouvoir en préciser la date:

Un élève suicidaire, lors d’une séance d’entraînement avec un moniteur, quitte soudainement l’avion Cessna au décollage et tombe dans la zone pavillonnaire!!!

          Lors d’un vol en rase-motte sur les étangs de Hollande, le pilote fait  du « saute-mouton » au-dessus des digues et son avion percute l’une d’elles…

Grosse frayeur! Un contrôleur de Guyancourt N…, après un arrosage part en vol et se perd entre Guyancourt et Toussus

Au cours d’un stage de pilotage à titre privé effectué au centre de formation du SFA de Grenoble, un pilote fut grièvement blessé. Le SFA utilisait alors des Cessna 177 « Skymaster », avions à aile haute et sans haubans. En fin de vol, au changement d’élève, l’instructeur resta dans l’avion, moteur tournant. L’élève sortit non pas vers l’arrière comme il aurait dû le faire (la présence d’un hauban lui aurait d’ailleurs rappelé que c’était la bonne direction), mais vers l’avant : son bras droit, serrant son porte-documents, « passa » dans le champ de l’hélice et fut sectionné. Mon adjoint, Patrice Bralet, qui faisait lui-même son stage pour l’obtention du brevet de pilote privé sur cet appareil (au demeurant délicat et à mon avis peu adapté pour une formation « ab initio ») en fut le témoin et me raconta que le cuisinier du Centre se hâta de placer les débris dans un sac réfrigéré et l’on transporta le blessé au CHU où il fut aussitôt opéré. Évidemment son instructeur fut extêmement marqué par ce malheureux événement. À Toussus, je rencontrai ce pilote qui avait été peu après intégré au sein de l’aviation civile en tant que contrôleur aérien à Guyancourt ; il avait un bras handicapé mais continuait à piloter.

          Un après-midi, en vol et en contact radio avec la tour de Toussus-le-Noble, il déclara qu’il était perdu entre Guyancourt et Toussus! Ses propos n’étaient pas très audibles et la contrôleuse lui demanda de passer sur une fréquence moins chargée afin de pouvoir le guider au gonio VHF. Manque de chance! impossible de le recontacter sur la nouvelle fréquence qu’il n’avait manifestement pas affichée. Je me souviens que nous eûmes quelques sueurs froides. En revanche, j’ai oublié la façon dont nous le tirâmes de ce mauvais pas. Il s’avéra au « débriefing » qu’il avait pris un avion après un pot – de départ ou d’arrivée je ne sais plus – sans appréhender les effets bien connus qui décuplent en l’air les effets de l’alcool…

Une infraction relevée en plein vol!

Un dimanche, en fin de permanence de week-end, je décolle de Toussus pour Orly afin de rendre le petit avion Robin 2160 mon fidèle « coupe-racines »  garé sur le parking « Pinaud » (1), et que j’utilise à Toussus pour le service et pour l’entraînement des pilotes habilités.

J’emprunte donc comme d’habitude le transit sud via « Limours »,         « Marcoussis » et « Travers Sud » pour rejoindre les circuits VFR d’accès à Orly et garer l’avion dans le hangar du Parc Central dont j’avais les clés.

N’étant point pressé, après le décollage en piste 25, et l’altération de cap de 10 degrés à gauche pour venir au 244°,  je poursuis vers Dampierre pour passer par le VOR de Rambouillet et rejoindre le transit vers Limours.  

Peu après le château de Dampierre, j’avise un petit avion qui fait du rase-mottes au-dessus d’un village au fond d’une vallée, survolant l’église à plusieurs reprises. Mon sang ne fait qu’un tour, face à ce que je ressens comme une provocation à l’égard des riverains dont la sensibilité était à l’époque exacerbée, et à qui on tend ainsi un bâton pour se faire battre, et je pense à nos effort, mon adjoint et moi-même, depuis des mois, visant à maintenir des relations crédibles avec les maires et les associations de défense de l’environnement…

Je me dirige donc aussitôt vers cet avion pour l’identifier mais ce n’est pas une partie de plaisir car le pilote m’aperçoit et essaye de m’échapper…Je parviens pourtant à relever sur ma planche de bord attachée à ma jambe gauche l’heure, le lieu et le type de l’avion et son immatriculation.

Le lendemain, il m’est facile d’identifier le pilote qui vole – c’est un comble – à…Guyancourt !

À Toussus, nous considérions que le recours à une procédure d’infraction, qui pouvait être lourde de conséquence pour le pilote en entraînant une suspension de licence, devait être entreprise en dernière extrémité. Michel Pineau, mon prédécesseur à Toussus et à la présidence de le commission de discipline avait instauré cette vision des choses qui recueillait mon adhésion…

Malheureusement, le pilote convoqué nia les fait en formulant à notre égard des propos acrimonieux. Ce fut là un constat d’échec et j’établissais donc un constat d’infraction aux règles de l’Air (« extrait du registre R »).

Membre suppléant de la commission de discipline, je devins membre à part entière au décès de mon chef regretté Jean-Pierre Randuineau.

Pour cette affaire, je fus appelé à participer à la commission qui se réunissait dans les locaux de la Direction régionale Nord à Athis-Mons.

L’ adjoint au directeur présidait les commissions. Me considérant à juste titre comme juge et partie, j’avisais ce dernier que je ne pourrais assister à cette séance. Il insista néanmoins et j’acceptais à contrecœur avec la promesse du président que je n’interviendrai pas.

La séance, comme je l’avais prévu, fut très pénible, car le pilote récusa d’emblée ma présence sur un ton péremptoire alors que le président me priait plusieurs fois de répondre directement à ses dénégations (contrairement à notre accord initial). Finalement, je ne sais plus quelle proposition de sanction fut retenue par la commission qui, Aéroclub de France, FNA et autres fédérations réunis, l’adoptèrent à l’unisson. Précisons que les propositions de sanction sont en général entérinée et notifiée telle quelle par le directeur… Sauf exception …

Peu après, j’eus la surprise de recevoir une lettre du président et jugez quel fut mon désappointement !

Il me communiquait la lettre de « rappel à l’ordre » que le directeur se contentait d’adresser au pilote fautif. Certes, elle rappelait que le vol rasant au dessus de l’agglomération « dans une région dont les habitants font montre d’une grande sensibilité aux nuisances d’origine aéronautiques » était bien caractérisé, mais elle réduisait la sanction proposée à un simple avertissement qui constituerait une circonstance aggravante en cas de récidive.

Je reçus peu après une lettre du président de la commission m’expliquant que la clôture de l’affaire tenait à la simultanéité des faits suivants :

-J’étais membre de la commission;

-J’avais moi-même relevé l’infraction;

-La réalité de cette infraction est mise en doute par l’intéressé;

-Elle avait été observée par moi dans des circonstances qui ne relèvaient pas directement de mes fonctions de commandant d’aérodrome.

Je répondis aussitôt en adressant une lettre de démission au directeur régional : trois pages dont je n’extrais que la réponse quatrième au grief:

« Ceci n’est pas conforme à la réalité des faits. Comme l’atteste le tableau ci-joint, j’étais alors en service et j’assurais la permanence du Service Aviation Générale d’Aéroports de Paris, dans la zone de compétence (elle est précisée sur la carte de commissionnement) ».

Pour clore ce « roman feuilleton », je reçus alors une lettre de regrets du Directeur qui m’expliquait entre-autres que « la légalité des actuelles Commissions régionales de discipline a été mise en doute (pour non conformité aux prescriptions des textes relatifs à la déconcentration) et de ce fait m’a encouragé à adopter une décision de prudence »… Elle précisait que « suppléant de Monsieur Randuineau, vous avez été amené à siéger de nombreuses fois à la Commission et je sais qu’elle a bénéficié de vos compétences, de votre expérience et de l’esprit à la fois ouvert et rigoureux qui vous anime. Je regrette votre demande de démission ».

Jean-Paul Lavictoire (2), nouveau chef de service après Jean-Pierre Randuineau, me remplaça.

(1): Mon prédécesseur, Michel Pinaud, nommait ainsi ce petit avion à cause de sa quille anti-roulis qui dépassait sous sa dérive. Son nom fut attribué au parking situé derrière le pavillon de fonction où je garais leR2160 que j’allais chercher à Orly pour l’astreinte de week-end.

Stationnement du Robin 2160 sur le parking « Pinaud » derrière mon pavillon…

(2) : Il ne le restera pas longtemps car il obtint une mutation pour Monaco.

Mon dernier commissionnement (signé Franck Morisseau) à l’effet de relever les infractions aux règles de l’air et à établir les contraventions de grande voirie. De ces deux prérogatives, j’ai usé surtout de la première et une seule fois de la deuxième…

À peine arrivé à Toussus-le-Noble en 1982, je m’étais rendu au Tribunal de Grande Instance de Versailles afin de prêter serment pour être commissionnés ; il s’agissait d’un renouvellement pour moi puisque j’étais commissionné depuis 1973 en Auvergne où j’étais rapporteur à la Commission de discipline présidée par Michel Bommier directeur adjoint. À Toussus, mon chef de service Jean-Pierre  Randuineau (1) m’avait demandé d’être son suppléant. Il décéda peu après. Le seul côté comique de la chose, c’est qu’après avoir démissionné, et plus tard lors de mon « transfert » à la Direction régionale Nord, Michel Pinaud qui présidait la commission me demanda de lui succéder ! Je rechignais un peu pour la forme mais j’acceptais d’autant que j’avais bien sympathisé avec le directeur de la Drac-Nord Jean Maigret dont je salue le souvenir ici.

Je présidais donc sans grand enthousiasme cette instance disciplinaire pendant plusieurs années, de 1998 à 2010…Là-dessus aussi il y aurait des choses à raconter…

 (1) : Jean-Pierre  Randuineau. Je salue ici la mémoire de ce chef dont l’aviation générale a bénéficié pendant ces années-là, toujours bienveillant et bien présent. Il inspectait tous les terrains, se transportant en avion qu’il pilotait avec aisance.

Il avait fait une partie de sa carrière comme représentant de l’ASECNA à Madagascar où il se déplaçait en bimoteur de Havilland « Dragon ».

Atteint d’un cancer du larynx, il manifesta un grand courage dans sa maladie, et travailla jusqu’au bout. Alors qu’il était presque aphone, je me souviens qu’il animait les réunions à l’aide d’un porte-voix ! 

Derniers combats

          Peu avant la fermeture de Guyancourt, en 1988 je crois, alors qu’une campagne menée par l’association de défense de l’aérodrome de Guyancourt et de son environnement ADAGE allait bon train, le contrôleur de Toussus qui effectuait l’inspection matinale découvrit des inscriptions inhabituelles peintes sur l’une des deux pistes: 

          « GUYANCOURT VAINCRA »

…peintes en lettres blanches, assurément pendant la nuit, et dimensionnées pour être bien visible par les avions en courte finale…

          Il fallut les effacer après une fermeture momentanée de la piste.

Le rideau tombe : le samedi 30 octobre 1989, fin des activités à Guyancourt. Les usagers mettent le feu aux hangars…

       Le week-end des 30 octobre et 1er novembre, j’assure l’astreinte du service Aviation Générale d’ADP (comme par hasard…). Évidemment, je m’attends au pire ; les derniers soubresauts de l’aérodrome risquent d’être pour le moins un motif de  manifestations des usagers et de mobilisation générale pour un « baroud d’honneur » . C’est du moins ce que nous nous sommes dits la veille, Noël Lambert, le chef travaux et moi ; nous avons donc prévu de nous retrouver à Guyancourt au petit matin pour tenter d’endiguer la colère des usagers prêts à en découdre.

Noël Lambert, du service travaux (DI.T.IS), participait lui aussi aux permanences d’ADP.  

Noël Lambert au travail dans son bureau. Il était le responsable travaux-entretien des aérodromes de l’Ouest parisien :Toussus-le-Noble, Guyancourt, Saint-Cyr et Chavenay. On aperçoit par sa fenêtre les hangars de France-Aviation (zone Sud de Toussus). C’était un homme droit, franc et chaleureux ; une valeur sûre sur laquelle un commandant d’aérodrome pouvait compter…Lors de son départ en retraite où il lui fut offert un motoculteur, je concluait mon discours en paraphrasant Rudyard Kipling : « Pour tracer un sillon bien droit il faut regarder au loin…C’est ce que vous avez su faire, Monsieur Lambert ! »

Le matin du 30, de très bonne heure, nous nous retrouvons donc à Guyancourt. Est-ce une prémonition, j’ai demandé un véhicule incendie au cas où.

          La matinée se passe de manière relativement calme, les usagers se regroupant autour de braséros et partageant nourriture et boisson. En revanche, vers midi, les consommations de vin et autres alcools ne tardent pas à produire leurs effets. Les esprits s’échauffent, les discours deviennent agressifs ; certains focalisent leur colère sur nous qui personnifions à leurs yeux l’incapacité d’ADP à préserver leur plate forme.

          Nos craintes étaient fondées : dès le début de l’après-midi, la tension est à son comble au sein des sociétés et aéroclubs où chacun déclare qu’il n’a plus rien à perdre. Les foyers pacifiques allumés au début son abandonnés et des brûlots s’allument un peu partout, se transformant en véritable incendie lorsqu’il s’agit d’appentis en bois. À la nuit tombée, les flammes sont visibles un peu partout et l’on peut craindre que cela prenne une dimension apocalyptique. Naturellement, tout au long de ces événements, Noël Lambert et moi, nous ne nous séparons pas et nous parcourons en tous sens la zone des installations pour tenter de dissuader les usagers de commettre des actes irréparables. Nous connaissions la quasi-totalité d’entre eux et nous les apostrophons par leurs noms.

          Dans la nuit, heureusement, les feux s’éteignent et le calme revient peu à peu. Noël Lambert et moi, nous regagnons nos pénates au matin du 1er novembre, totalement épuisés…

et l’ouverture d’Étampes le dimanche: un accident…Mais je connaît ce pilote…!

Le « lendemain » 1er novembre, je dois malgré la fatigue me préoccuper du bon déroulement de l’ouverture de l’aérodrome d’Étampes-Mondésir à la circulation publique.

Arrivé sur place, une surprise de taille m’y attend: Un petit monomoteur qui venait d’atterrir, et qui roulait sur la bretelle d’accès au parking, a été poussé au niveau du virage par une rafale de vent dans un fossé de drainage. Il s’agit ni plus ni moins qu’une vieille connaissance, le « fameux » pilote que j’avais verbalisé quatre ans plus tôt! Il me reconnut et je me souviens qu’il était très vexé de n’avoir pu maîtriser ce coup de vent qui le poussa inexorablement dans ce fossé, où il s’immobilisa, le nez en « pylône »et le train fauché…

Je lui demandais de me fournir comme il se doit un compte rendu, afin de le joindre à mon rapport d’accident pour le BEA.

Non sans me rappeler qu’il m’avait bien berné quelques années plus tôt, il dénia toute responsabilité de sa part, rejetant les torts sur ADP qui, d’après lui, n’avait pas aménagé ce taxiway dans les normes. Avec son avocat, il fit un procès à ADP en exigeant le remboursement des réparations et, que croyez-vous qu’il arriva? Il gagna!

Comparaisons…

Je ne puis m’empêcher ici de faire un parallèle avec un autre aérodrome voué à la disparition et pourtant préservé par la volonté des autorités politiques et administratives locales et régionales. Il s’agit de l’aérodrome de Montluçon-Domérat, dont la fermeture devait faire suite à la mise en service du nouvel aéroport de Montluçon-Guéret, en Creuse, sur le site de Lépaud.

          La Région « Auvergne » s’accorda avec la région « Limousin » et l’on trouva une « locomotive » en la personne d’André Chandernagor (1) député de la Creuse, qui deviendra président du syndicat mixte de création et de gestion du nouvel aéroport. Je me souviens des réunions au conseil régional d’Auvergne pour son aménagement avec toutes ces autorités. Je fus convié à l’inauguration par le président de la république François Mitterand le 3 mai 1982. Il y avait là le truculent Gaston Deferre qui nous photographiait, en dirigeant prioritairement son objectif vers les dames…

          L’aérodrome de Domérat était un lieu très bucolique, aux confins de la ville, bien que depuis longtemps totalement enserré dans l’extension urbaine de Montluçon. Je me souviens que beaucoup de pratiquants de l’aérodrome me disaient que c’était un plaisir pour eux de s’y rendre en vélo ou en mobylette. Il y avait là plusieurs clubs basés, comme Léon Biancotto et les Ailes Montluçonnaises, dont le président, Mr Aupetit, était aussi Président de la Fédération Aéronautique Régionale (FNA).

          Cet aérodrome pourtant appelé à disparaître connut néanmoins un moment de gloire avec le soutient de Raymond Laventure Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Montluçon-Gannat et du député maire de Montluçon Pierre Goldberg. La CCI souhaitait créer une ligne d’apport en Beech 28 Baron pour embarquer des passagers  à Clermont-Fd Aulnat sur les vols d’Air Inter! Je fus donc chargé de l’étude et de la réalisation d’une extension de la piste revêtue de 800 à 1000 mètres! L’extension se fit d’ailleurs sur une ancienne décharge qui s’était constituée peu à peu en bout de piste!…(Je faillis d’ailleurs y terminer un « rolling take off » pour m’être un peu trop attardé au roulage sur la piste…). L’étude comportait un volet « procédure aux instruments » établie sur une balise MF. Vérel, mon chef du district aéronautique eut l’idée de faire démonter l’ancienne vigie d’Aulnat et de la transporter à Domérat. Je souligne ici qu’à l’époque, l’autoroute réalisée par Giscard d’Estaing n’existait pas et que l’accomplissement du transport par la route à deux voies de Clermont à Montluçon fut un exploit. Nous recrutâmes un agent pour gérer l’aérodrome (inspections de piste, etc.) et faire fonctionner le service d’information à la tour de contrôle. Ces agents étaient désignés par le vocable peu gratifiant d’ « agents paramètres » car ils ne pouvaient donner d’instructions de contrôle et devaient se cantonner dans la communication des paramètres (piste en service, vent, etc). Il s’agissait d’un emploi réservé de l’Armée de l’Air, ancien commandant sur Mirage IV!

          La liaison régulière fonctionna quelques années…

          Il y eut une période, avant mon départ pour Toussus en 1982 où l’on pensa fermer Domérat. Aupetit et le Président de la FNA, Pierre Labadie (2) se mobilisèrent alors contre cette perspective. Le comble est qu’on chercha dans le voisinage un terrain de remplacement de Domérat! Je me souvient qu’Aupetit m’appelait en croyant avoir trouvé le site idéal. J’accourais avec mon matériel (clisimètre, topofil, etc) et je parcourais avec lui le bocage, jetant mon topofil par dessus les haies pour mesurer d’improbables futures pistes gazonnées ; il y eut Dessertines, Quinssaine, et bien d’autres…

          Après mon arrivée à Toussus en septembre 1982, j’appris à la fois que l’aérodrome avait été agréé à usage restreint (3) et que la société Mudry (4), déménageant de Beynes-Thiverval, s’y était installée…

Inauguration du nouvel aérodrome de Montluçon-Guére à Lépaud le 3 mai 1982.

(1): André Chandernagor : sa fille, Françoise, issue de l’ENA, débuta une carrière de romancière par  « L’allée du Roi » tout en siègeant au Conseil d’État. L’association des Amis des Archives de France dont je suis membre la reçut pour une conférence sur les femmes écrivaines des siècles des lumières. Notre président était alors Marceau Long, ancien président d’Air France…Il succédait à l’historien Henri Amouroux, spécialiste des français sous l’occupation, décédé en 2007.

(2):  Pierre Labadie, Ancien PDG d’Air Charter International, filiale d’Air France, était Président de la Fédération Nationale Aéronautique (FNA) et Président de l’aéro club d’Air France à Toussus-le-Noble. Le 5 septembre 1985, son club house accollé au hangar fut percuté par un Mooney 20 dont les pilotes avaient perdu le contrôle à l’atterrissage. Le club house fut aussitôt transformé en brasier qui ne s’éteignit qu’au petit matin (voir le récit de cet accident dramatique dans mes souvenirs de Toussus). Il en fut d’autant plus marqué qu’il perdit tous les documents et souvenirs qu’il y conservait. On dut reconstituer les fichiers des pilotes. Plus tard, il perdit son fils, décédé au cours d’un entraînement de rugby.

(3): Aérodrome agréé à usage restreint: intermédiaire entre l’aérodrome privé et l’aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique, il est utilisable par les avions basés et ceux basés sur les aérodromes voisins dont la liste figure à l’arrêté de création. L’accès à partir d’autres aérodromes est soumis à une autorisation du district aéronautique.

(4): La société Mudry construisait des avions de voltige tel que le CAP 10. J’ai fait quelques vols dans les années 70 à Beynes-Thiverval avec un camarade de promotion qui y volait régulièrement.

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Jacques Pageix. Août 2020 et novembre 2021.
Fin de la deuxième partie.