Farman, un symbole durable

Les frères Farman avaient dû s’effacer de Toussus-le-Noble sous la volonté du Front populaire, ne gardant qu’une station-service, la Société Commerciale d’ Aviation. À la fermeture de la SNCAC, fin 1949, le terrain du hangar Mérantais revient à la nouvelle société Farman de Boulogne-Billancourt, tenue par Marcel Farman, société de sous-traitance pour l’automobile et l’aéronautique. Marcel Farman réouvre l’activité de station-service et en confie la direction à Paul Ducellier. Le nom Farman est à nouveau
présent sur son aérodrome historique pour ne plus le quitter même si, depuis la fin des années quatre­ vingts, la famille Farman s’en est retirée.

LA FIRME FARMAN S’ADAPTE AUX TEMPS NOUVEAUX

Paul Ducellier, chargé de remettre en marche la société Farman de Toussus-le-Noble, est un homme d’expérience, à l’autorité reconnue et qui n’a jamais cessé de s’investir pour promouvoir l’aviation. Appelé par Marcel Farman, avant la guerre, pour piloter le projet avorté de fabrication de Stampe, c’est un prolongement, cette fois pour le compte de la société Farman, qu’il va conduire à Toussus-le-Noble malheureusement sans plus de succès.

Paul Ducellier

Paul Ducellier, né le 4 mai 1898 dans les Ardennes, s’engage dans l’armée en 1916 et devient pilote en juillet 1917 sur bombardier Breguet XIV. Après la guerre, il est secrétaire d’Albert Kahn pendant vingt ans à Boulogne-Billancourt où il crée, en 1933, et anime efficacement un aéroclub. En 1938, Marcel Farman l’appelle pour tenter de mettre en place la fabrication de Stampe à Suresnes. Il reçoit la direction de la SCA à Toussus-le-Noble en 1950 jusqu’à sa retraite en 1975. Il crée en 1960, I’ Escadrille des Anciens, regroupant les pilotes de la première guerre mondiale, titulaires d’une licence de vol à jour. Président de nombreuses instances aéronautiques dont I ‘Aéro Club de France en 1968, il est un actif et influent membre du monde aéronautique, Il décède à Boulogne­ Billancourt le 9 juillet 1989.

La Société Commerciale d’ Aviation s’installe en 1950, sur les trois hectares où se dresse le hangar Mérantais, enclave privée de l’aérodrome. Le grand hall de quatre mille huit cents mètres carrés, très dégagé grâce à sa structure suspendue, peut accueillir une soixantaine d’appareils. À l’arrière sont adossés quatre cents mètres carrés d’appentis qui sont autant d’ateliers (chaudronnerie, menuiserie, peinture, entoilage, mécanique, , .. ) ou de magasins. L’administration est logée à l’extérieur, dans le plus petit des deux bâtiments qu’avait fait ériger Lucien Coupet : une petite entrée, le bureau de Coupet repris par Ducellier, le bureau de la secrétaire qui sera de 1952 à 1988, madame Madeleine Garçon et le bureau de Marcel Farman. Le bâtiment, vétuste, sera détruit vers 1980 et le secrétariat s’installera dans le bâtiment voisin. Ce second local, plus grand, bien éclairé et mieux isolé, est aménagé au départ, en bureau d’étude où règnent l’ingénieur Caressa et six à huit dessinateurs, occupés au projet du Monitor. C’est à cause de ce prototype qu’est créé le premier atelier chauffé de l’aérodrome de Toussus-le-Noble, d’environ quatre cents mètres carrés à l’intérieur du grand hangar : au départ, de simples braseros permettent aux ouvriers de travailler confortablement par temps froid, l’endroit sera fermé ensuite par des cloisons souples.
Le pilote de Lelée est chargé de l’école de pilotage avec un avion NC, l’activité arrête vers 1955-56, victime de la concurrence des aéroclubs – une école reprend, semble-t-il, à partir des années soixante-dix et au XXIème siècle, il y aura une école IFR, Expair FTO. L’atelier de menuiserie où exerce Roger Clément voit parallèlement sa charge de travail baisser. Jusqu’en 1958, l’activité principale porte sur les révisions générales d’avions comme le Stampe, le Tiger-Moth, le Morane 315, le NC, ou le De Haviland Dragon, avion personnel de Maurice Farman avant qu’il n’utilise un Super Cruiser. Un vieux mais mythique F192, longtemps stationné dans le hangar Farman, finit par s’envoler sans problème pour la Réunion aux mains de son acquéreur. C’est aussi les derniers feux d’une réminiscence furtive de l’ancien terrain d’essai Farman puisque le hangar Mérantais va abriter les versions successives du prototype Monitor.

Le Monitor 1 F500 devant le hangar Farman, juillet 1952.

Marcel Farman en collaboration avec Jean Stampe et l’ancien associé de celui-ci, Alfred Renard, étudie un dérivé monoplan du Stampe SV4 conçu avant-guerre, pour un usage similaire d’avion d’école et de voltige. Il pensait ainsi relancer une activité de constructeur sous le nom de Farman.
À partir de la cellule nue, construite en Belgique, l’avion est terminé à Toussus-le-Noble et reçoit un moteur Renault et une hélice Merville. Il entre dans la lignée des Farman sous le code F500, Monitor I. L’avion est en bois et toile et le poste de pilotage biplace est recouvert d’une verrière largable. Il effectue son premier vol aux mains de Joanny Burtin, le 11 juillet 1952 et reçoit son certificat de navigabilité, le 23 mai 1952. Mais le Service de l’aviation légère et sportive (SALS) désirant un appareil plus puissant, le F500 est alors motorisé avec un Régnier de 170 CV et devient le F520 Monitor Ill. Le 15 juin 1953, l’appareil est essayé par Joseph de Lelée qui remplace Burtin puis par Louis Notteghem, le chef du centre de Saint-Yan où se trouve le SALS; l’appareil est envoyé pour un mois en essais à Mayence, à l’école de pilotage de l’ ALAT où ses qualités sont tout à fait appréciées. Néanmoins, le SALS préfère un fuselage en tube métallique et l’avion est à nouveau remis en chantier. Le Monitor III F521, semi-métallique avec de nouvelles commandes et dérive, et des amortisseurs oléopneumatiques, est testé le 19 juin 1954, à Toussus-le-Noble, par Louis Notteghem. Si le CEV se montre favorable à l’avion Farman, le SALS réclame désormais un avion entièrement métallique.

Paul Ducellier, Joseph de Lelée, Joanny Burtin et Louis Notteghem devant le Monitor III, le 19 juin 1954.
Coll. GHTN

Sous la direction de l’ingénieur Caressa, le nouvel avion est construit à Toussus-le-Noble en quelques mois à partir du F520 et prend le nom de Monitor II F510.
De Lelée fait l’essai initial le 5 août 1955 et le CEV l’accepte en septembre. Conduit à Saint-Yan, le SALS le refuse comme avion-école, l’envisage comme avion de servitude avant d’abandonner tout projet en 1960. Il n’y aura donc aucune série pour alimenter les usines de Billancourt et la page, récemment entre ouverte par Marcel Farman pour redonner vie au constructeur Farman, doit se refermer.

Le personnel Farman suit les évolutions de Notteghem, le 29 juin 1954. Coll. GHTN

Farman au service des hommes d’affaires

La Société Commerciale d’ Aviation se recentre sur l’aviation d’affaires. En 1958, elle signe un accord avec Beechcraft dont elle devient l’agent pour la France. Elle a, à cette époque, une quarantaine de clients privés dont le baron Marcel Bich qui dispose d’un luxueux et confortable Beech Queen Air ou la société Peugeot dont le Twin Bonanza, piloté par l’ancien pilote d’essais Guy Bart, assure les rotations indispensables entre Sochaux et Paris, et une fidèle clientèle anglaise. L’ambiance chez Farman est détendue et de bon aloi, les propriétaires des appareils sont souvent des passionnés d’aviation qui se connaissent et échangent facilement leurs points de vue avec les mécaniciens.
Enfin, l’entreprise Farman effectue des travaux particuliers comme les gouvernes des B17 de l’Institut géographique national ou des travaux de radio-électricité et d’instruments de bord pour des firmes spécialisées. Elle possède un outillage conséquent et moderne, et un personnel d’une quinzaine de membres de qualité comme Fernand Guiard, motoriste et Eugène Gogendeau, chef d’équipe, tous deux bien connus à Toussus, comme Zacharie Ivanoff, d’origine russe, installé à Châteaufort, d’abord au service de Robert Morane et auteur de plusieurs inventions dont un porte-carte lumineux pour vol de nuit, un tensiomètre pour câble ….
Si Marcel Farman vient de temps en temps à Toussus-le-Noble, c’est surtout son père, Maurice, que l’on voit sur l’aérodrome : chaque semaine, il prend son avion personnel pour une promenade aérienne, souvent à Chartres comme autrefois, visitant à basse altitude des sites maintes fois survolés, sans se soucier des règles ou des procédures qu’impose la circulation aérienne moderne, ce n’est pas son aviation, les contrôleurs le savent. Son pilotage devenant imprécis avec l’âge, il fallut insister pour qu’il accepte la présence de de Lelée à bord.

La veuve d’Henri Farman vient assez souvent s’enquérir des affaires auprès de Paul Ducellier. Veillant jalousement à maintenir vivante la mémoire de son époux, c’est à elle que l’on doit la stèle érigée à l’entrée du terrain, le 27 octobre 1962, quatre ans après le décès d’Henri Farman. Peu de temps avant, vers 1960, l’immense hangar historique dont le vieillissement apparaît sur les photographies de l’époque, avait subi une réfection générale, toiture et bardage étaient refaits entièrement.

Paul Ducellier prend sa retraite en 1975, à soixante-dix-sept ans et il n’est pas vraiment remplacé. La direction est assurée depuis Boulogne-Billancourt par monsieur Fricker, le directeur financier de la société Farman. Il ne vient qu’une fois pas mois à Toussus-le-Noble où l’activité est accessoire pour l’entreprise de Marcel Farman.
La famille Farman se retire de Toussus-le-Noble en vendant, en 1987, le terrain et les bâtiments à un important industriel breton, usager du Mérantais, monsieur Marc Péchenart. L’année suivante, madame Garçon prend sa retraite, elle est remplacée par madame Monnin.
Monsieur Péchenart poursuit l’activité dans un esprit semblable à celui qui existait chez Farman. Désirant privilégier l’aviation d’affaires tout en maintenant les opérations de mécanique et d’entretien, il envisage un moment de construire un deuxième hangar et divers bâtiments et bureaux qu’il destinait à la société Aérospatiale mais le terrain est classé par le plan d’occupation des sols de la commune en zone inconstructible. Seules des améliorations liées à l’entretien comme la réfection des aires de stationnement sont réalisées.

LE HANGAR FARMAN AU XXIeme SIÈCLE
Monsieur Marc Péchenard vend, à son tour, le terrain et les bâtiments Farman à messieurs Gilles Goujon et Denis Lesaffre, le 31 octobre 2003. Gilles Goujon possédait une station-service sur le terrain de Saint-Cyr. L’opportunité de venir à Toussus-le-Noble lui permet de compléter son activité de maintenance par celle, traditionnelle chez Farman, de garage.
La rénovation progressive des bâtiments est l’occasion de redistribuer les lieux : le bâtiment extérieur devient un local privé, le gardiennage, les services administratifs et les magasins sont regroupés dans les anciens ateliers accolés au grand hangar, dont l’un d’eux est loué à une société de simulateurs de vol. L’atelier chauffé est rénové et permet la révision simultanée de cinq appareils.
Deux vestiges de l’époque héroïque subsistent dans le hangar : le pont mobile du Cormoran, inutilisé, et les anciennes bascules d’avant-guerre qui, régulièrement entretenues et étalonnées, s’avèrent plus précises que les bascules modernes.
À l’occasion de la réfection de la toiture, une échelle sécurisée est créée sur le pignon du hangar. L’immense toiture culmine à seize mètres de haut et dispose tout le long du faîtage d’une plate-forme d’un mètre de large, véritable petit boulevard, qui n’existait pas avant-guerre et doit dater de la réfection de 1960. Le prochain objectif est la reprise du sol dont l’irrégularité et l’aspect laissent penser qu’il s’agit d’un historique amalgame de terre battue, d’huile, d’essence et de sueur ! La poutraison est remarquable et a valu au hangar d’être répertorié dans l’inventaire général du patrimoine en 2001. Son acoustique a même été testée, avec succès, lors d’un concert donné par Pierre Franck en juin 2005 ainsi qu’au Centenaire de l’aéroport en 2007.

Concert dans le hangar Farman lors du Centenaire de l’Aéroport – 2007


En raison d’une réglementation de plus en plus stricte, la variété des ateliers s’est progressivement réduite au bénéfice de sociétés spécialisées de la plate-forme comme, par exemple, les travaux de peinture.
Cinquante-deux avions seraient basés en fixe et treize places de passage.
La proximité de l’aérodrome avec la capitale et les centres d’affaires, la grande disponibilité du hangar Farman, ouvert toute l’année et tous les jours comme il l’était déjà du temps de ses fondateurs, sont appréciées d’une clientèle qui se recrute dans toute l’Europe.
Cette clientèle d’hommes d’affaires, d’industriels passionnés d’aviation au point que l’avion basé à Toussus le Noble satisfait autant leur goût du vol qu’il ne sert à la bonne marche de leur entreprise, cette clientèle d’hommes actifs et indépendants est à l’image de celle des frères Farman dans l’entre-deux guerres, perpétuant, sans s’en douter, l’Esprit Farman de Toussus-le-Noble.

Extraits de l’ouvrage d’Azur et d’Or, réalisé pour le Centenaire l’aéroport de Toussus en 2007. Organigramme du Comité pour le Centenaire de l’Aéroport de Toussus (CCAT)