le premier avion stratosphérique à Toussus-le-Noble

Comment l’Ingénieur Waseige a réalisé le premier avion stratosphérique

Lorsqu’on examine de l’extérieur l’avion stratosphérique présenté le 21 juillet 1932 à l’aérodrome  de Toussus-le-Noble, près de Versailles, la première constatation qu’on est amené à faire, c’est qu’il ne se distingue nullement d’un avion ordinaire. Ce qui le caractérise spécifiquement, c’est sa conception mécanique et aérodynamique destinée à la navigation dans les hautes couches de l’atmosphère, c’est-à-dire dans la «stratosphère» au delà de 12.000 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Le problème qu’il s’agissait de résoudre consistait essentiellement à conserver au moteur la puissance nécessaire à l’évolution de l’appareil à grande vitesse à haute altitude. Chacun sait que la puissance d’un moteur d’avion diminue au fur et à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère, puisque la pression de l’air diminue elle-même avec la hauteur. On dit que  cet air se raréfie.

Grâce aux recherches du savant Rateau, qui’ s’est spécialisé dans la construction des turbocompresseurs, on est arrivé à établir aujourd’hui des appareils parfaitement au point, qui ont pour mission de rétablir la même pression qu’au sol, de l’air entrant dans le carburateur, quelle que soit cette altitude.

Farman, Waseige, Coupet

Le dispositif employé sur l’avion stratosphérique, dû à l’ingénieur Waseige des Établissements Farman, consiste à comprimer l’air qui traverse un radiateur avant de pénétrer dans le carburateur. Quand l’avion s’élève, la puissance, avons-nous dit, du moteur diminue. Alors, au moyen d’un compresseur, on rétablit la pression nécessaire pour que la puissance soit maintenue. Ainsi c’est par une sorte d’échelle de compresseurs (que l’on embraye successivement au fur et à mesure que l’avion grimpe) que l’on rétablit les conditions nécessaires au fonctionnement normal du moteur. On compte ainsi parvenir à 15.000 mètres. Les trois compresseurs adoptés par M. Waseige sont destinés aux échelons successifs de 5.000, 10.000 et 15.000 mètres. Il va de soi que l’embrayage des· compresseurs s’effectue de l’intérieur d’une cabine métallique étanche, où sont installés les appareils enregistreurs de mesure destinés à contrôler la pression et la température.

En possession de ces observations d’une façon permanente, on peut immédiatement en déduire la puissance développée par le moteur de l’avion stratosphérique,

Mais quand l’air se raréfie, il est d’autre part indispensable de «brasser » un volume d’air croissant. C’est dans ce but que l’on emploie les moteurs dits inversés.qui permettent d’utiliser une hélice métallique à pas variable à 4 pales de grandes dimensions pour précisément brasser « le plus possible l’air ambiant ».

Mais, comme la température s’abaisse au fur et à mesure que l’on monte dans l’atmosphère, il est également nécessaire de rétablir les conditions pour que l’essence, l’huile, l’air et l’eau se maintiennent dan un état convenable pour pouvoir être utilisés normalement. Comme on prévoit, en effet, que la température atteindra 50° au-dessous du zéro, lorsqu’on voyagera aux environs de 10.000 mètres, tous les liquides seraient alors congelés. C’est pour cela que l’on emploie une série d’appareils destinés à contrebalancer l’influence de la basse température.

Il va de soi que ces conditions de vol à haute altitude ne pourront être réellement précisées que lorsqu’une ascension aura révélé les difficultés à résoudre,

Enfin un autre aspect du problème, également délicat, réside dans l’hélice. Bien entendu, on a adopté l’hélice métallique à pas variable pendant le vol. En effet lorsqu’un avion stratosphérique s’élève, l’air se raréfie et la vitesse de l’appareil augmente. Il est donc indispensable de faire varier le pas de l’hélice au fur et à mesure que l’appareil monte dans l’atmosphère pour que l’hélice conserve un rendement suffisant. Telles sont les· principales caractéristiques de l’avion stratosphérique au point de vue mécanique (moteur, compresseur, hélice, etc.). En ce qui concerne la cellule proprement dite, nous signalerons que l’avion offre une grande surface portante, afin de lui permettre de se soutenir dans l’atmosphère même raréfiée (portance).

L’avion stratosphérique Farman présente à cet effet une envergure de 19 m. et une longueur de 11m.  Sa surface portante est de l’ordre de 60 m2 pour un poids maximum de 2.400 kgs, la puissance du moteur employé ne dépassant pas 400 CH, ce qui est peu. Cet avion enlève ainsi en charge un poids de 35 kilogrammes seulement au mètre carré, alors que pour un avion ordinaire également rapide la charge est de 129 kilogrammes au mètre carré. Cette différence notable entre les deux charges est à l’avantage de l’avion stratosphérique, puisque le coefficient de sécurité est ainsi plus grand « (atterrissage plus aisé).

Ainsi pour la première fois au monde un ingénieur français a réalisé un avion destiné à voler jusqu’à 15.000 mètres. Jusqu’ici deux aviateurs avaient dépassé l’altitude de 13.000 mètres. Le premier, Apollo Soucek, (record américain), qui détient le record mondial d’altitude avec 13.157 mètres (4 juin 1930). Le second est Lemoigne, qui vient ensuite avec l’altitude de 11.797 mètres (record de France). Il va de soi que ces records d’altitude déjà effectués au voisinage de la stratosphère n’ont rien à voir avec le vol d’un avion stratosphérique destiné à naviguer dans la stratosphère.

Dans le premier cas, c’est une manifestation sportive de courte durée ; dans le second c’est un mode de locomotion aérienne à. grande vitesse envisagée pour de longs parcours. Mais avant de parvenir à la navigation stratosphérique, il faut tout d’abord poursuivre des essais mécaniques, pour réaliser le meilleur appareil, et aussi poursuivre une exploration méthodique de la stratosphère pour en connaître exactement les caractéristiques.

L’ascension en ballon libre du professeur Piccard le 27 mai 1931, qui a atteint 15.000 mètres dans sa sphère métallique, a été de trop courte durée pour nous donner à cet égard des renseignements utilisables.

On sait que M. Piccard doit, du reste, tenter une nouvelle expérience prochainement pour pénétrer les secrets de la stratosphère, tant, au point de vue physique que météorologique.

Parallèlement aux travaux de M. Waseige en France se poursuivent également en Amérique et en Allemagne la construction et la mise au point d’avions stratosphériques. Le professeur Junkers, en Allemagne, compte essayer avant la fin de l’année un avion stratosphérique de sa conception, de 18 m. d’envergure et entièrement métallique. ­N’oublions pas non plus qu’en France un autre technicien, M. Guerchais, termine actuellement un appareil destiné à emporter 2.500 kg et à voler à 15.000 m. d’altitude et à 400 km. à l’heure.

La présentation par M. Waseige du premier avion stratosphérique, destiné à des expériences prochaines, marque une étape dans l’évolution de l’aviation à haute altitude.

Ce sont les essais minutieux et laborieux qui vont se poursuivre durant une année qui décideront de la formule définitive à adopter pour ce genre d’appareil. Nous reviendrons prochainement du reste sur ce sujet,

Dans l’histoire de la mécanique on ne parvient jamais du premier coup à des solutions définitivement pratiques ; c’est l’épreuve du temps qui consacre une formule technique patiemment élaborée.