Un ULM et des oies (pas si sauvages…)

Sur fond de fête des transports.
Issy-les-Moulineaux 30 octobre 2007.

À partir de 1998, alors que j’étais chef de cabinet de la Direction de l’Aviation Civile Nord (DAC-Nord) à Athis-Mons, je me rendais assez souvent à Paris, rue Farman, au siège de la Direction Générale de l’Aviation Civile. Cette rue borde l’héliport d’Issy-les-Moulineaux et j’avais pris l’habitude de visiter mon collègue (et ami) Michel Lemerdy (1), chef de ce prestigieux héliport qui vit les premiers vols des aéroplanes et qui, comme chacun le sait, appartient au domaine d’Aéroports de Paris ; l’exploitation technique (contrôle, mesures de sécurité et de sûreté, etc.) fut toutefois reprise dès les années 2000 par la DAC-Nord (2).

Rue Henry Farman, l’héligare (phot. J.Pageix)

 Michel m’accueillait sans chichis avec un café et des croissants et nous bavardions de tout et de rien ; c’était un personnage tout en rondeur, dont la bonne humeur inaltérables était communicative et dont les bons mots tombaient toujours à point.

C’était pour moi une escale réconfortante avant d’affronter les étages et les couloirs du grand bâtiment de notre maison-mère, la DGAC…

Un peu plus loin,  pointe le bâtiment de la  DGAC, comme la proue d’un navire… (phot.J.Pageix)

Un mardi matin 30 octobre 2007, sur le chemin de notre direction générale, je le retrouvai donc naturellement dans son bureau situé dans l’héligare. Il me dit: « Jacques, tu tombes à pic, tu vas assister à un événement que tu ne dois pas rater : le décollage d’un ULM accompagné d’une douzaine d’oies spécialement dressées par le pilote! »          N’ayant pas de rendez-vous précis à « FARMAN » (comme nous disions), inutile de dire que je n’hésitai pas à m’attarder sur l’héliport.

          J’ajoute que, comme souvent, j’étais d’astreinte cette semaine là ; j’étais donc motivé à la fois par une légitime curiosité et par le souci d’être présent à cet événement hors du commun dont je n’évaluai pas précisément les dangers…

          Il convient de dire ici quelques mots sur ce pilote original, tel que me le présenta Michel Lemerdy:

          Né en 1960, breton d’origine, Christian Moullec, météorologiste de formation, chercheur attaché au Museum d’Histoire Naturelle, vécut longtemps à Aurillac. Passionné par l’étude des oies sauvages, dont la race naine serait en voie de disparition, il souhaitait apprendre à ces oiseaux en danger à éviter les trajets migratoires dangereux. Décollant de l’aérodrome d’Aurillac-Tronquières (2), il survolait le Cantal avec son ULM, accompagné de ses oies. Malheureusement assez vite confronté aux règles drastiques que lui opposa la DGAC et le gestionnaire de la plateforme, il dut rechercher un autre site d’envol. Il collabora en 2001 au film de Jacques Perrin « Le peuple migrateur ».

          Plus tard, en 2019, Nicolas Vannier, explorateur célèbre pour ses périples en chiens de traîneaux dans le Grand Nord, le prit sous son aile et l’associa au tournage du magnifique film « Donne moi des ailes » où Christian Moullec fut incarné par l’acteur Jean-Paul Rouve en compagnie de Mélanie Doutey.  

Christian Moullec, un personnage sympathique.

Ce jour-là, 30 octobre 2007, Christian Moullec a prévu de décoller de l’héliport avec ses oies pour survoler la tour Eiffel et Notre-Dame à l’occasion de la fête des transports et de la mobilité, qui se  tient sur les Champs-Elysées.

          Les journalistes et les caméras sont là.

          L’ULM s’élance sur la piste en herbe et décolle, entouré de l’essaim des oies qui doivent adopter une formation en « V » comme une véritable escadrille. « Après quelques ratages moteur, dira un commentateur, c’est le retour sur le plancher des vaches ». Si l’ULM est forcé de se reposer, les oies, elles, continuent leur vol et disparaissent de nos champs de vision. « Elles ont mon numéro de téléphone inscrit sur leur bague », nous dira Christian Moullec!

          Les oies sont aussitôt portées disparues et l’Alouette III de la Sécurité Civile, partie à leur recherche, ne parvient pas à les repérer! Les commentaires vont bon train ; « elles se seraient perdues du côté de Saint-Cloud ou de Meudon ».

Comme de coutume, je contacte par téléphone les préfets concernés pour qu’ils n’apprennent pas l’événement par la radio ou la télé et l’un d’eux me rabroue sèchement: « Que voulez-vous que cela me fasse? » (3).

On retrouvera les oies deux jours après, barbotant dans les étangs de Jablines (importante base de loisirs à l’Est de Paris, en Seine et Marne!) ; le trajet réalisé par ces braves volatiles représentait tout de même une quarantaine de kilomètres, à vol d’oiseau bien-sûr!

–o–

          Disons quelques mots sur cette fameuse fête des Transports qui avait servi de prétexte à cette présentation de l’ULM et des oies :

          Je n’ai pas participé à celle de 2007, mais j’étais invité et présent à celle de 2006, le vendredi 17 novembre très exactement. Cette fête qui se voulait annuelle se situait au rond-point des Champs-Élysées. Tous les moyens de locomotion y étaient représentés y-compris un train posé sur ses rails!

          Arrivé sur les lieux, je retrouvai quelques notabilités et figures de l’aviation et, étant chargé de communication, je fis quelques photos que j’ai conservées:

          Sur le premier cliché on voit Gérard Felzer au « volant »  de la « Jamais Contente » (*); il fallait bien un pilote de ligne, même retraité pour conduire un engin pareil… Gérard Felzer était alors directeur du musée de l’Air ; actif promoteur d’animations et de rassemblements, il fit bouger cette vieille institution ; notamment, il organisa des rassemblements d’avions au Bourget à partir de Chelles on réouvrant pour l’occasion le transit nord (que j’avais souvent pratiqué aux commandes de mon petit Robin « Aiglon »2160, autrefois, à l’époque où l’on pouvait faire le tour de Paris en VFR).

Sur le deuxième, au milieu de la photo, on reconnaîtra Dominique Perben notre sympathique ministre des transports (5). À l’extrêmité gauche de la photo, Patrick Gandil qui, après avoir été chef du service des Bases Aérienne, puis directeur des routes, puis secrétaire général du ministère des transports, venait d’être nommé à la tête de la DGAC (le 5 octobre 2007). On reconnaîtra également Paul Huchon, Président de la région d’Ile-de-France, Serge Dassault, Perben, et Gérard Felzer qui vient de me reconnaître…

          Enfin, sur ce troisième cliché se trouve, à gauche, Paul Schwach, Directeur des Affaires Stratégiques et Techniques et, à l’extrêmité droite, René Gaudin, Directeur des Programmes Aéronautiques Civils (pardessus beige). Au premier plan, Dominique Perben.

Notes:

(1): Parmi les commandants de l’héliport, citons Rémy Tranchant, que je connus à l’École Nationale de l’Aviation Civile en 1967 à Orly (1ère année) où il était chargé d’un cours sur le balisage lumineux des aéroports. Il est l’auteur d’une  « Petite histoire des commandants d’aérodrome, 1921-1990 » (nov.1986), qu’il m’offrit lors d’une visite qu’il me fit à Toussus-le-Noble.

À droite, en uniforme de commandant d’aérodrome, Rémy Tranchant
commandant l’héliport de Parix-Issy-les-Moulineaux en 1951.

sa « Petite histoire des commandants d’aérodromes » qui sera publié séparément sur ce site

(2): Ici, au début des années 1900, les « fous volants » accomplirent leurs premiers vols et battirent des records. Parmi les pionniers comme Santos-Dumont, Voisin, Blériot, Morane, Garros, Gilbert et bien d’autres, la figure de Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais m’émeut particulièrement. Il accomplit plusieurs exploits et participa à de nombreux meetings en France. En 1913, il entreprit un tour des capitales européennes, jusqu’à Saint-Petersbourg, aux commandes d’un Morane-Saulnier monoplan à moteur rotatif Gnome-et-Rhône de 80 CV! Il se distingua pendant la Grande Guerre, d’abord comme pilote de reconnaissance et de bombardement, en rapportant de précieux renseignements sur l’avance allemande qui le firent féliciter par Foch. Il fut ensuite affecté à l’escadrille MS23 où se trouvait l’auvergnat Eugène Gilbert. Volant à haute altitude, le 18 août 1916, son avion fut abattu par erreur par notre DCA à Vadelaincourt près de Verdun.

          Mon grand oncle Joseph Pageix, photographe de la Grande Guerre, prit ce cliché de la tombe provisoire de Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais, lieutenant aviateur à l’escadrille MS 23, à Vadelaincourt (Meuse), mort à 24 ans le 18 août 1916.

« Brindejonc, c’est l’homme au panache, c’est le symbole léger, vivant, c’est la beauté, l’honneur qui passe très haut, au-dessus de la vie. » (sa dernière citation).

          Au cours de l’année 2007, je fus chargé, à la demande du directeur de cabinet du préfet de police de Paris, Christian Lambert, de réaliser un diagnostic sur la vulnérabilité de l’héliport, et de proposer des mesures de sûreté appropriées. Je dois dire que cela me causa quelques migraines, face à cette véritable passoire…. Finalement, ce fut l’objet d’une réunion à la préfecture de police, que Christian Lambert présida. Ce haut fonctionnaire, très aimable, m’offrit un livre sur les événements de mai 68 vus par la police alors dirigée par le Préfet Maurice Grimaud…Cela m’amusa d’autant plus que je me trouvais à l’époque rue Gay-Lussac avec Jacques Dumont un  prof de l’ENAC, étant alors en 1ère année à Orly…(« Jacques, me dit-il nous allons jeter ici un pavé symbolique »… Mais c’est une autre histoire…) 

Le directeur de cabinet du préfet de police de Paris,
Christian Lambert.

(3) Aéroport que j’ai bien connu et fréquenté autrefois lorsque j’étais en poste au District aéronautique Auvergne (1973-1982). Je m’agace souvent lors des bulletins météorologiques télévisés qui annoncent la température locale, valable pour l’ensemble du Cantal, bien souvent la plus basse de la France, ignorant visiblement que la station qui enregistre cette température et qui se trouve à 640 mètres d’altitude sur l’aérodrome est la plus haute de France! Aurillac est certes la capitale du parapluie mais il n’y fait pas plus froid qu’ailleurs!

(4) Ces « foudres » préfectorale n’était pas une première pour moi : en Auvergne (voir mes souvenirs du district aéronautique), le préfet du Puy-de-Dôme préfet de région me rébroua lorsque je le dérangeai pour l’avertir que la halle construite par la Chambre de Commerce et d’Industrie sur l’aéroport de Clermont-Aulnat (et qui abritait pour l’occasion un salon des antiquaires) s’était envolée sous l’effet d’une tornade soudaine: « que voulez-vous que cela me fasse? ». Je rentrai chez moi, ouvris mon poste TV pour « découvrir » l’interview du dit préfet venu sur place!…Ce que je fis bien-sûr moi-même en m’équipant pour passer la nuit dehors sous la tempête.

Daniel Capelle, commandant de l’aéroport de Clermont puis chef du dictrict de Basse Normandie et commandant l’aéroport de Deauville -agréable escale que je pratiquais volontier en tant que pilote des Corps Techniques, accueilli par ce charmant collègue-, racontait volontier cet épisode cocasse de sa carrière où il eut lui-même à subir la ire préfectorale lors de la disparition sur l’aéroport d’Aulnat de la petite chatte noire d’une passagère qui bénéficiait des plus hautes protections. Cette petite boule de poils retrouvée, il la cacha dans l’armoire à balais du district et rentra chez lui. Mais, prenant son service le lendemain après la femme de ménage plus matinale que lui, il constata que la cachette était vide!…

« Monsieur Capelle, je vous engage à la retrouver, si vous voulez conserver votre poste! »…

(5): « La Jamais contente, voiture électrique, fut le premier véhicule à franchir les 100 km/h en 1899. Elle est exposée au musée de la voiture à Compiègne. Il s’agit ici d’une réplique construite en 1993.                                                                    

(6): J’eus l’occasion d’apprécier la bienveillance de ce ministre, que j’accompagnai un jour à Orly pour faire avec lui une inspection sur les mesures de sûreté aéroportuaires. Pour l’anecdote, je me souviens du geste désinvolte de son garde du corps qui m’amusa : à l’arrivée, il jetta son « flingue » sur le tapis roulant du dispositif d’inspection-filtrage pour le récupérer plus loin….

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Et je ne dois pas oublier que j’ai également fréquenté l’héliport dans les années 1972/73 au cours de mon affectation au Service technique de la Navigation Aérienne, 246 rue Lecourbe alors dirigé par Bernard Palayret. Sous la houlette de Joël Houdaille, j’étais le très jeune chef d’une subdivision au sein de laquelle se trouvait un collègue pilote d’hélicoptère qui devint vite un ami: Jean-Louis Bouvier (originaire de Louvier, ancien vrai résistant). Il disposait d’un quota d’heures de vols allouées sur les machines d’Héli-Union et nous volions sur les Alouette II et III avec le chef pilote Monsieur Charles Schmitt. Dans le cadre du plan d’équipement aéronautique (PEA) et du développement de la desserte des Alpes, nous opérâmes sur place des expérimentations parfois un peu scabreuses en « Lama » SA 315 (balisage nocturne, VASI, guidage SIDAC etc), et ceci principalement sur l’altiports de Courchevel où « sévissait »  Air Alpes et Michel Zigler. Il y avait là aussi Marcel Collot qui nous fit faire quelques vols avec l’Abeille…J’ai conservé pas mal de photos, mais la place manque ici.

Notre SA 315 Lama d’Héli-Union que nous utilisions dans les Alpes. À gauche, Jean-Louis Bouvier mon collègue du STNA pilote d’hélicoptère et à droite, Charles Schmitt, chef pilote. Pour ce type de mission, un mécanicien faisait partie de l’équipage.

Dans les Alpes, Héli-Union pratiquait beaucoup de transport par élingue pour acheminer du matériel sur des sites inaccessibles par voie terrestre. Il fallait se méfier des lignes électriques qui n’étaient pas toujours balisées…Pour notre part, ce Lama fut totalement dédié à nos expérimentations. Charles Schmitt nous prit littéralement sous son aile… Figure bien connue et très respectée à Issy-les-Moulineaux. Derrière un air un peu bourru se révélait très vite une personnalité forte et attachante. J’ai aussi connu son fils lors de l’installation d’Héli-Union Industries à Toussus le Noble.

                                                                               Jacques Pageix, décembre 2020