En 1907, les premiers essais d’un aéroplane sur le plateau de Saclay ont lieu au sud de l’étang de Trou Salé, à Toussus-le-Noble où Robert Esnault-Pelterie vient de louer un terrain d’une soixantaine d’hectares qui comprend l’étang et des terres assez marécageuses dépendant du Domaine des Eaux de Versailles.
Il a pu apprécier les qualités de la région, dégagée et bien ventée, proche de Paris et de Boulogne en rendant visite à sa tante, Flore Esnault-Pelterie et à son oncle, Jules Barbet-Massin, propriétaires du château des Roches, à Bièvres.
Robert Esnault-Pelterie commence par monter, au bord de l’étang, une simple maisonnette en bois pour abriter son premier aéroplane. Aux alentours, ce ne sont que prairies et champs, les seuls obstacles sont les fossés et les bornes royales que l’aviateur fait jalonner afin de mieux les voir.
C’est le premier champ d’aviation de la région.
L’aéroplane d’Esnault-Pelterie diffère complètement des habituels biplans de bois. C’est un monoplan à structure métallique, recouvert de soie vernie. Les ailes sont en bois, au milieu desquelles, engagé dans le fuselage, est ménagé un cockpit pour le pilote. Le train d’atterrissage est lui aussi peu courant, constitué de deux roues l’une derrière l’autre qui obligent à fixer deux autres roues aux extrémités des ailes pour assurer l’équilibre de l’appareil au repos. La roue avant, qui supporte l’essentiel du poids de l’aéroplane, est munie d’un amortisseur oléopneumatique. L’appareil est équipé d’un moteur léger, à 5 ou 7 cylindres, disposés en éventail et à refroidissement à air et d’une hélice métallique.
Robert Esnault-Pelterie pensait que l’usage de l’aéroplane serait de même nature que celui de l’automobile et qu’il suffisait de proposer un appareil sûr et facile à manœuvrer pour trouver des acheteurs. La mise au point des aéroplanes n’étant pas si rapide que prévu et la clientèle, encore hypothétique, il commercialise ses moteurs avec plus de bonheur, du moins au début, auprès de constructeurs toujours à la recherche de moteurs d’avion légers et performants.
Plusieurs aéroplanes, ainsi équipés, font leurs essais sur le terrain de Robert Esnault-Pelterie à Toussus-le-Noble, certains constructeurs (Maurice Farman, Louis Blériot) s’installeront un peu plus tard, définitivement à proximité.
L’aéroplane Astra-Kapferer à Toussus-le-Noble
Henry Deutsch de la Meurthe, industriel pétrolier et mécène, vient de constituer à partir des établissements Surcouf, spécialisés dans les sphériques et les dirigeables, la société anonyme ASTRA. Son petit-neveu, Henry Kapferer, chargé du développement de la section aéronautique, concoit avec Louis Paulhan un monoplan à doubles ailes en tandem et s’adresse à Esnault-Pelterie pour un moteur à 7 cylindres de 35 CV. Henri Kapferer avait été un des témoins attentifs du vol du 8 juin 1908. Son avion remisé dans un hangar de Toussus attendait la remise des essais, commencés en Avril.
La firme REP fabrique aussi pour Ia société ASTRA, les nacelles en tubes d’acier des dirigeables Ville de Paris, offert à l’Armée par Deutsch de la Meurthe en remplacement du Patrie, détruit par une tempête et Ville de Bordeaux, expose au Grand Palais en décembre 1908 pour le Salon aéronautique
Le 23 avril 1908, l’aéroplane de Clément Auffm-Ordt, construit avec M. Heeren, doté d’un moteur REP de 35 CV, fait des essais de roulement à l’aérodrome de Toussus Une simple perche relie la cellule principale au stabilisateur arrière, la voilure est constituée de deux systèmes indépendants, l’un fixe et rigide relié au bâti, l’autre souple et mobile formant l’extrémité des ailes. L’inventeur espère un effet de balancier, gage d’un bon équilibre. On trouvera plus tard des dispositifs similaires dans la recherche de systèmes anti-rafales
Un Blériot semble avoir été essayé sur le terrain de Toussus-le-Noble dès la fin de 1908. Quelques semaines plus tard, fin janvier 1909, Esnault-Pelterie assiste, à Issy-les-Moulineaux, au premier vol du Blériot XI, équipé du moteur de 28 CV et d’une hélice REP. Le terrain d’Issy se révèle trop étroit pour les manoeuvres que voudrait tenter Blériot qui vient terminer la mise au point à Toussus. De février à avril 1909, il exécute plusieurs vols avec virages. L’aéroplane finira par s’embourber sur les rives de l’étang de Trou Salé. Toutefois, après sa traversée de la Manche, le 25 juillet 1909, les commandes affluent et incitent Blériot à s’installer sur ce plateau suffisamment vaste et aux vents réguliers. À l’automne 1909, il achète deux cents hectares au Haut-Buc. L’Aéroparc est aménagé de 1910 à 1912, mêlant activités d’essais, formation au pilotage et organisation de fêtes aériennes.
L’aérodrome de Toussus-le-Noble n’aura jamais cet aspect, privilégiant les écoles de pilotage et les essais de prototypes.
L’aéroplane Maurice Farman à Toussus-le-Noble
L’aéroplane est construit sur les plans de Maurice Farman et d’Albert Neubauer, son associé du Palais de l’Automobile (grand garage parisien) par les ateliers Maurice Mallet. C’est un biplan cellulaire à deux places côte à côte avec une armature en bois, tendue de coton verni. La cellule arrière est reliée par quatre longerons et le gouvernail de profondeur est un plan en deux panneaux mobiles à l’avant. Le moteur et l’hélice propulsive sont placés derrière les passagers. Maurice monte successivement sur son appareil un moteur REP 10 cylindres de 40 CV et un moteur Renault 8 cylindres en V de 58 CV, une hélice métallique REP et une hélice en lattes de bois Chauvière. Il ne retient pas les produits REF. Le train d’atterrissage à quatre roues est monté sur amortisseurs. Le vol de prise en mains a lieu le 31 janvier 1909. Le lendemain, Maurice Farman réussit deux vols de trois cents mètres à six et huit mètres de hauteur mais son inexpérience le ramène au sol trop brusquement et il fausse légèrement l’avion. Fin février 1909, il essaie un nouveau châssis permettant un départ sur roues et un atterrissage sur patins ainsi qu’une transmission Renault à deux hélices. Il vole assidûment sur le terrain de Toussus-le-Noble à partir de septembre ; très rapidement, il élargit ses vols et s’éloigne dans la campagne environnante.
Le Goupy N°2 à Toussus le Noble
Les ateliers Blériot construisent, sur les indications de monsieur Goupy et du lieutenant Calderara de la Marine italienne, un biplan doté d’un moteur REP de 25 CV. Lors des premiers essais, le 9 mars 1909 à Toussus-le-Noble, il vole à sept ou huit mètres de haut, conduit successivement par M. Goupy sur deux cents mètres et par le Lt Calderara sur cent mètres, sans aucun incident.
Robert Esnault-Pelterie
Robert Esnault-Pelterie naît le 8 novembre 1881, à Paris, dans une riche famille d’industriels du textile. Après des études au lycée Janson de Sailly et à la Sorbonne où il obtient, en 1902, une licence de sciences physiques, il effectue son service militaire chez les sapeurs télégraphistes au Mont Valérien puis se consacre aux recherches aéronautiques et astronautiques.
Esnault-Pelterie est un homme de laboratoire et un homme du monde qui usera de tout son entregent au profit de l’industrie aéronautique.
En 1901, il commence par construire un cerf-volant, puis essaie un planeur de type Chanute près de Calais, en 1904. il étudie l’aérodynamisme des ailes en les fixant sur le toit de son automobile lancée à près de cent kilomètres à l’heure. installe son laboratoire dans la demeure familiale de Boulogne-sur-Seine avant de monter un atelier à Billancourt, au 149 rue de Silly, en 1906. L’année suivante, alors qu’il essaye un prototype à Toussus-le-Noble, il développe ses installations sur plus de quinze mille mètres carrés, donnant naissance à une véritable usine pour la fabrication en série de ses moteurs et aéroplanes. Il dépose, en 1906, deux brevets, l’un pour un moteur léger en éventail (brevet du 10 mai 1906), l’autre pour un levier unique des commandes, le manche à balai, inspiré des travaux d’Alphonse Pénaud (brevet du 19 décembre 1906). Le brevet de son monoplan métallique est déposé le 27 janvier 1907. ii crée sa firme en 1907, baptisée de ses initiales : R.E.P.
En 1907, il loue un terrain à Toussus-le-Noble sur lequel il ouvrira, plus tard, une école de pilotage. Malgré une conception et des innovations qui s’imposeront dans l’aviation, ses aéroplanes ne se distinguent guère en compétition, ses moteurs sont vite dépassés. Bien qu’absent du concours militaire de Reims de 1911, Esnault-Pelterie parvient à faire équiper deux escadrilles avec ses appareils. Néanmoins, son entreprise ne se développe pas comme il le souhaite et en 1913, il vend les ateliers de Billancourt, ceux-ci seront rachetés par les frères Farman, en 1915.
Pendant la guerre, Robert Esnault-Pelterie se contente de construire des avions sous licence et abandonne définitivement l’aéronautique en juillet 1919 pour se consacrer à l’astronautique sur laquelle il menait déjà des recherches.
L’aviation lui doit le monoplan métallique, concept que Déperdussin lui vole avec succès en débauchant Espinoza, son modeleur, et le manche à balai, système copié sans état d’âme par tous les constructeurs, conduisant Esnault-Pelterie à de multiples procès. Elle lui doit aussi une participation active à son organisation. Il est, en janvier 1908, un des fondateurs de la Chambre syndicale des industries aéronautiques qu’il préside de 1909 à 1919. Il organise les premiers Salons de l’aviation au Grand Palais. L’Aéro-club de France, qu’il présidera en 1913, lui délivre le brevet de pilote n04, en 1909, décerné aux premiers aviateurs par ordre alphabétique.
Ses réflexions sur l’astronautique s’appuient sur les travaux de Constantin Tsiolkowski, publiés en 1903, sur ses conversations, en 1908, avec le capitaine Ferber, lui-même impressionné par les théories d’Henri Coanda sur la propulsion à réaction (1906). Il donne plusieurs conférences à Saint-Pétersbourg et à Pans en 1912, reçues avec scepticisme. Mais le 8 juin 1927, il expose à la Société d’aéronautique de France, avec succès, ses remarques sur L’exploration parfilsées de la très haute atmosphère et la possibilifé des voyages interplanétaires. En 1928, il crée avec André-Louis Hirsch le Prix international d’astronautique afin d’encourager les chercheurs et de connaître l’évolution des travaux étrangers.
En 1930, il publie L’astronautique, compilation la plus compl6te et la plus précise possible des connaissances de l’époque en la matière. Le 9 octobre 1931, une manipulation sur les combustibles liquides provoque une explosion dans son laboratoire qui lui coûte quatre phalanges de la main gauche. Il réalise un moteur-fusée en décembre 1936 et le 22 juin 1937, il est admis à l’Académie des sciences. Néanmoins ses recherches ont peu de soutien financier public et absorbent une grande part de sa fortune personnelle. Réfugié en Suisse pendant la seconde guerre mondiale, il n’a plus les moyens de poursuivre ses activités après le conflit. Il meurt alors qu’il se trouvait à Nice, le 6 décembre 1957. La rue où il résidait à Paris porte aujourd’hui son nom comme la rue principale de Toussus-le-Noble depuis le 7 septembre 1953.
Extraits de l’ouvrage d’Azur et d’Or, réalisé pour le Centenaire l’aéroport de Toussus en 2007. Organigramme du Comité pour le Centenaire de l’Aéroport de Toussus (CCAT)