Aviation et justice – Un après-midi au tribunal de Meaux…

Le « vol » (*) d’un avion à Coulommiers!
(vendredi 16 octobre 2004)
(*) : dans tous les sens du terme…

La nuit du mardi 13 au mercredi 14 octobre 2004 fut quelque peu agitée dans l’espace aérien parisien : un événement peu banal provoqua la suspension du trafic aérien de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle!

          Sur leurs écrans radar, les contrôleurs aériens virent apparaître un plot non identifié. Il s’agissait à l’évidence d’un objet volant se déplaçant dans l’espace aérien dévolu à CDG, et interférant avec les trajectoires de décollage et d’atterrissage. Le chef de quart prit donc la sage décision d’interrompre le trafic pour éviter le pire. Il n’était pas question que se renouvelle le triste accident de la collision survenue près d’Orly le 19 mai 1960 entre un monomoteur Stampe et une Caravelle d’Air Algérie (*). 

(*) : Le chef pilote de cette compagnie, décédé depuis peu, était Mathias Mériac, le grand-père de ma belle-fille. Cette collision l’avait évidemment fortement marqué. Je me souviens que le pilote de la Caravelle déclara : « je voyage en décapotable! »…Peu après, les services de l’Aviation Civile réorganisèrent l’espace aérien  en région parisienne sur le principe de la ségrégation du trafic afin d’éviter que ne se renouvèlent de tels accidents. Les avions légers conservèrent néanmoins la possibilité d’utiliser un transit VFR Sud et un autre au nord,  pour passer directement d’ouest en est -et inversement- sous les trajectoires et espaces dévolus aux avions volant en régime IFR. 

 Alerte générale!…Un hélicoptère de l’armée de l’air décolle de la base aérienne de Villacoublay et prends en chasse le monomoteur en lui signifiant l’ordre de se poser. L’équipage de l’hélicoptère note l’immatriculation de l’avion, établit un constat d’infraction, et avise le Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes (CDAOA). Le pilote de l’avion, un Robin DR 400, obtempère aux injonctions de l’hélicoptère qui l’accompagne jusqu’à Roissy, et atterrit en piste 09. Il est 2h30.

           « Le dispositif a parfaitement fonctionné et l’opération n’a duré qu’une quinzaine de minutes », précisera Jacques Lebrot, sous-préfet en charge de la sûreté de l’aéroport de CDG.

          Toutefois, le pilote, dont on ignore encore l’identité, prend la fuite alors qu’il est pris en charge par le personnel de l’Aviation-civile du bureau de piste et qui lui signifient qu’il allait être remis entre les mains de la Gendarmerie des Transports Aériens (GTA).

        Le lendemain, les faits purent être rétablis et la presse s’en fit rapidement l’écho:

          Au soir du 13, un homme de 32 ans, Jean-Marc Boschin, après avoir avalé « cinq ou six bières » dans un bar de la ville de Coulommiers, se rend sur l’aérodrome de Coulommiers où il parvient vers 02h00 du matin. Il fracture la porte de hangar, sort un avion de l’aéroclub qu’il met en route en « débranchant deux fils » sous le tableau de bord.

          Notons que ce pilote avait obtenu son brevet quelques années auparavant, avait peu volé, et avait donc perdu la validité de sa licence.

          Il décolle néanmoins et survole à basse hauteur l’agglomération de Coulommiers et celle de Morcerf où vivent ses parents. Il provoque intentionnellement des ratés moteurs et vole au ras des toits pour se signaler aux habitants. Certains d’entre-eux ne tardent pas à alerter la police locale qui contacte la base de Taverny.

          Lorsqu’il s’aperçoit qu’il n’a plus qu’un quart d’heure d’autonomie, le pilote signale par radio sa situation précaire et demande un atterrissage d’urgence à Roissy.

                                                             ….

          Après sa fuite du Bureau de Piste, déclare le sous-préfet de Roissy, « outre les relevés d’empreinte qui ont été pratiqués à l’intérieur de l’appareil, un trousseau de clés d’appartement a été retrouvé dans le cockpit ».

          J’ignore si c’est grâce à ces indices qu’on retrouvera le coupable, chez-lui, dans l’après-midi.
          Il est aussitôt déféré au parquet de Meaux et mis en détention provisoire.
          Dans l’après-midi, l’avion est rapatrié à Coulommiers par un pilote de l’aéro-club.

….     

          Dans la journée du mercredi, le parquet de Meaux prend contact avec nous pour lui préciser les infractions commises au titre du code de l’aviation civile.

          Thierry Réviron, mon directeur, fournit les renseignements demandés. Il vient peu après m’en parler et me dit avec une pointe d’humour:

          « Jacques, attends-toi à être convoqué par le procureur ».

          En effet, peu après, le procureur de la République de Meaux lui-même m’appelle au téléphone. Il s’agit de René Pech (*), qui me dit sans embage qu’il souhaiterait me voir participer à l’audience du tribunal où le pilote sera présenté en comparution immédiate vendredi à 15h00. Il me demande de venir le rencontrer au préalable dans son bureau à 14h00. je comprends qu’il souhaite que j’expose à la barre les conditions d’obtention et de maintient des privilèges de la licence de pilote, tout en répondant aux questions des magistrats et de l’avocat.

          (*): Décédé en 2020.

          Cela ne me réjouit pas particulièrement, mais je prends sur moi et, le vendredi matin, je passe au garage alors dirigé par Jean-Paul Cloette, chef du parc automobile, pour prendre une voiture de service afin de me rendre à Meaux.

          J’oublie de dire que la veille, je suis allé faire une visite au service des licences du District aéronautique Île-de-France à mes collègues Michèle Luneau chef du service, ainsi qu’Yvette Thomasset, afin d’être briefé sur les dernières nouveautés en matière de brevets et licences.

          Et me voila parti pour Meaux, charmante sous-préfecture de la Seine-et-Marne. Je me félicite d’avoir prévu beaucoup d’avance, car une véritable tornade, éclairs, grondements et pluie diluvienne, m’oblige à stopper au bord de la route où la visibilité devient quasiment nulle. Pour combien de temps? Une certaine angoisse m’étreint…

          Enfin l’orage se dissipe et j’arrive sans plus d’encombre dans le bureau du Procureur qui me reçoit aimablement.

C’est un homme affable dont l’accent méridional me rassure. Il me fait penser à mon beau-père, aveyronnais au même accent… Il m’explique le déroulement probable de l’audience en « comparution immédiate » et me présente aux magistrates. Hé oui, il s’agit de deux dames, blondes, qui m’expliquent ce qu’elles attendent de moi lorsque je serai appelé à témoigner à la barre. Elles me précisent qu’elles ne me feront pas prêter serment. Je me souviens du prénom de l’une d’elles, Parvine, ce qui n’est pas commun!

….

          L’audience est ouverte et me voici installé sur un banc en attendant qu’on m’invite à m’avancer à la barre.

Le pilote, en blouson de cuir, accompagné de ses parents et de son avocat, maître Jean-Charles Negrevergne, prend place dans le box des accusés. 

          Je ne peux m’empêcher de remarquer que ce jeune homme, « propre sur lui » comme l’on dit, pourrait à priori inspirer une certaine sympathie. Toutefois, je tempère aussitôt ma première impression lorsque se présentent ses parents: de braves gens visiblement effondrés par le mauvais comportement de leur fils. Au demeurant, je me suis demandé comment cet ancien pilote, sans aucun entraînement depuis plusieurs  années, y compris en VFR de nuit, et de surcroît dans un état de quasi ébriété (*), aura pu effectuer son périple nocturne!

          (*): On sait comment les effet de l’alcool sont décuplés en avion…

          Le substitut du procureur, Mme Parvine Derivery, lit l’acte d’accusation :          « Effraction et vol de l’avion, pilotage de nuit et sans licence en cours de validité, pénétration dans l’espace aérien dédié à l’approche de Roissy, et délit de fuite ».

          Elle insiste sur la conduite de Mr Boschin qu’elle juge irresponsable et requière deux ans de prison dont un ferme: « Vous avez mis en danger des milliers de personnes en survolant les villes à très basse altitude; de plus, en tant qu’ancien pilote, vous aviez bien conscience de toutes les règles que vous violiez! Qu’avez-vous à dire pour expliquer votre conduite? »

          le pilote reconnaît les faits qui lui son reprochés:

           » J’ai du mal à expliquer ma conduite que je regrette, c’était une pulsion, sûrement sous l’effet de l’alcool. J’avais bu quatre ou cinq bières dans des bars de Coulommiers, avant de me rendre à pied jusqu’à l’aérodrome.

          « Cette histoire n’a en tout cas rien à voir avec le 11 septembre ou toute autre histoire de terrorisme, précise dans sa plaidoirie son avocat, Me Jean-Charles Negrevergne. Mon client n’a aucune idéologie religieuse ou politique, il faut relativiser ce qu’il a fait. »

          La juge me demande alors de venir à la barre pour fournir quelques explications et répondre à d’éventuelles questions.

          Je m’éxécute et fournit des explications quant aux infractions aux règles de l’air et aux licences, répondant aux questions du juge et de l’avocat.

….

          Après délibération, la sanction tombe, un peu moins dure que celle du réquisitoire: un an de prison dont six mois fermes ; la peine est assortie d’un sursis avec mise à l »épreuve pendant 18 mois avec l’obligation de soigner son « alcoolisme » et d’indemniser l’aéroclub de Coulommiers pour les dégâts subis par l’avion.

          Jugement en comparution immédiate oblige, le malheureux quitte la salle du tribunal menotté pour être emprisonné sans tarder.  

Les cinq nouvelles magistrates, installées depuis peu (2003)
au sein du parquet de Meaux

….

          Je quitte ce tribunal, tout compte fait sans trop de regrets ; soulagé, je l’avoue, je descends les escaliers du tribunal vers la place de Meaux où se trouvent quelques estaminets accueillants ; je vais pouvoir me décontracter face à une chope de bière et passer les coups de téléphones indispensables, dont mon directeur Thierry Réviron aura bien sûr la primeur. 

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Remarques:

*Le 17 décembre suivant, cette affaire fut jugée en appel à Paris. D’après le journal Le Parisien, l’avocat général ne mâcha pas ses mots : « N’oubliez pas que si vous recommencez, ce sera quatre ans de prison ferme ». Il a toutefois accepté de se désister, rendant ainsi la condamnation de six mois de prison ferme exécutoire.

*Thierry Réviron à qui j’ai fait lire ceci me répond: « Oui, cette nuit là c’est miracle s’il n’y a pas eu de catastrophe« 

Sources :

-Archives personnelles (Aéroport de Toussus, Direction de l’Aviation civile Nord);

-Archives de l’Aéroport de Toussus-le-Noble;

-Archives d’Aéroport de Paris, Orly-Ouest (remerciements à Mme Nolwenn Deviercy, du Pôle Gestion du Patrimoine documentaire D’ADP).

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                                                           Jacques Pageix septembre 2021