TOUS ceux qui vécurent les premières années de l’aviation furent longtemps considérés comme des fous !
Après un démarrage héroïque, suivi d’une utilisation guerrière, l’avion prétendait faire du transport régulier !
Nous prétendions vaincre la panne mécanique, vaincre le mauvais temps ! Insensés que nous étions … et les accidents successifs renforçaient la position de nos nombreux détracteurs.
Mais l’époque située entre les années 1928 et les années 1932 marque le Grand Tournant de l’Aviation Commerciale ; en effet avant 1928 le pilotage se faisait exclusivement basé sur le sens du pilote guidé plus particulièrement sur la vue du sol, alors qu’après 1932 grâce au VOL dans le NOIR comme nous l’appelions alors, devenu VOL aux instruments ou P.S.V., les pilotes purent surmonter les principales difficultés dues au mauvais temps exécutant leurs vols avec sécurité et régularité, permettant ainsi le prodigieux développement ultérieur de l’Aviation Commerciale.
Cette révolution fut une œuvre «exclusivement Farman », créée par une équipe unie, obstinée, ouverte aux solutions modernes à laquelle les trois frères Farman, Henri, Maurice et Dick, pilotes et réalisateurs prestigieux, surent inculquer leur foi, leur volonté et leur esprit d’équipe.
Après mes dures années de pilote de guerre, ayant eu la chance de vivre et de participer dans tous ses détails, en tant que Directeur des Lignes Aériennes Farman, à cette révolution, j’estime qu’il est nécessaire, à la demande de mon camarade de guerre et ami Lucien Coupet, de fixer pour l’histoire de l’aviation et documents en mains, toutes les étapes de cette Révolution
Création de la première école de pilotage PSV méthode Lucien Rougerie
Tous les pilotes d’essais ou des lignes aériennes volaient avant 1928 en se guidant sur la vue du sol, parfois au-dessus des nuages, mais jamais à l’intérieur de ceux-ci.
Il arriva à plusieurs pilotes de cette époque qui avaient été obligés de traverser en descente une couche nuageuse un peu épaisse, de constater en débouchant au-dessous de ces nuages, que le sol leur apparaissait comme vertical. Alors qu’ils se croyaient en vol normal, ils se trouvaient nettement en virage serré, presque à la verticale et sans s’en être rendu compte.
L’un d’eux, René Labouchère, vieux pionnier, qui défrichait la ligne Paris-Lausanne, particulièrement montagneuse, fut obligé parfois de se risquer à travers des couches nuageuses. Il put ainsi constater les difficultés du pilotage dans ces conditions. Etudiant scientifiquement ce problème, il essaya différents instruments destinés a contrôler la position de son avion pour le maintenir en vol normal sans la vue du sol.
Il utilisa trois instruments principaux :
– un indicateur de vitesse indiquant la position longitudinale (incidence de l’aile),
– un niveau à bille pour indication de la position latérale,
– un indicateur gyroscopique pour l’indication des changements de direction.
Il imagina de réunir ces 3 instruments dans un petit espace et demanda à la maison Badin de condenser le tout dans le boîtier qui, placé sur la planche de bord, permettrait au pilote d’un seul coup d’œil de contrôler ses trois positions.
C’est ainsi que prit naissance le « Contrôleur de vol Badin »
Cet appareil fut homologué et imposé par les Services officiels sur tous les avions de transport. Malheureusement, comme souvent en France, cet appareil nouveau livré aux utilisateurs, sans notice expliquant son fonctionnement et son montage correct fonctionnait mal. Il ne fut pas utilisé par les pilotes qui ne voulaient toujours se fier qu’à leurs propres sensations.
En mars 1928, Lucien Rougerie, directeur des Aérodromes Farman de Toussus-le-Noble, effectuant un vol par plafond bas sur biplan Maurice Farman, s’engagea dans une couche nuageuse et perdit le contrôle de son avion.
Il se rendit compte que son altimètre lui indiquait une descente rapide et que ses manœuvres ne faisaient qu’accentuer sa descente!
Regardant alors son indicateur de vol, que son esprit méthodique lui avait fait installer correctement sur sa planche de bord, il eut l’idée d’essayer d’amener et de maintenir l’aiguille de l’indicateur de virage au point neutre et déboucha à 50 mètres du sol dans une position lui permettant de reprendre le contrôle normal de son avion et de venir atterrir normalement.
Venant d’échapper miraculeusement à l’accident mortel, il réunit immédiatement ses pilotes, Coupet, Burtin et Lallouette pour leur expliquer son aventure et leur demander leur avis sur le pilotage dans les nuages et l’utilisation des instruments de bord et plus particulièrement dµ Contrôleur de Vol Badin.
Chacun évoquant ses souvenirs avoua qu’au cours de vol d’essais il lui était arrivé, après s’être aventuré dans un nuage, de se retrouver à la sortie parfois avec un changement de cap de 180°, parfois en virage très serré, mais que de toute façon jamais le Contrôleur de Vol n’était utilisé.
Sous l’impulsion de L. Rougerie l’équipe décida d’entreprendre systématiquement l’étude complète du vol sans visibilité extérieure.
Dans ce but, un avion école Farman F 71, choisi parce qu’il était assez instable, fut spécialement aménagé en double commande en tandem: au poste avant, équipé pour le P.S.V., une coupole relevable devait interdire à l’élève toute visibilité extérieure, alors que le poste arrière à l’air libre permettait au moniteur la conduite normale de l’appareil et donc la correction des erreurs possibles de l’élève.
Au cours du vol d’études systématiques il fut constaté l’impossibilité pour un pilote confirmé, enfermé sous la coupole, de piloter correctement en n’utilisant que ses sensations personnelles.
Cette équipe mit en lumière le phénomène suivant : lorsqu’un avion amorce un commencement de virage à gauche le pilote sous coupole ressent une sensation de virage à droite, son réflexe immédiat est donc de corriger en virage à gauche, accentuant ainsi le virage amorcé et en même temps la sensation de virage à droite ; le pilote corrigeant à faux, l’avion part de ce fait en virage de plus en plus serré et incliné et le contrôle du vol est totalement perdu.
C’était la confirmation du fait que le vol sans visibilité extérieure ne pourrait se réaliser réellement qu’avec l’aide d’instruments indiquant le comportement réel de l’avion et qu’après une éducation nouvelle du pilote lui permettant d’acquérir des réflexes nouveaux contraires aux sensations naturelles ressenties surtout dans le cas du virage.
En accord avec les Frères Farman, Lucien Rougerie décida de créer immédiatement une Ecole Spéciale de P.S.V. Il organisa cette école avec volonté, méthode et inlassable persévérance et c’est grâce à lui que l’entraînement systématique du vol dans les nuages fut méthodiquement organisé en France dès 1928.
Dès l’ouverture de l’Ecole de Toussus, les premiers à s’entraîner furent évidemment les pilotes de l’Aérodrome Farman: L. Coupet, Burtin et Lallouette qui devinrent ainsi les moniteurs des futurs élèves.
Pour expliquer, initier et débourrer l’enseignement des futurs élèves, L. Rougerie avait conçu et fait réaliser par les moyens de l’Aérodrome Farman un banc d’entraînement au sol pourvu de tout l’agencement nécessaire au P.S.V. ; ce fut l’idée, le prototype du « Link Trainer» réalisé ultérieurement aux États Unis et acheté maintenant par la France.
Lucien Coupet se souvient encore très bien de la réflexion faite à l’époque par un pilote américain connu, venu faire un stage d’apprentissage au vol en P.S.V. à l’Ecole Farman et qui, après avoir obtenu son brevet de P.S.V., dit textuellement en regardant ce banc d’essai réalisé par L. Rougerie : « Ce n’est pas bête, cela, eh bien, Messieurs, dans quelque temps nous vous en vendrons » Cela se passait en 1928.
Lucien Rougerie est mort le 12 décembre 1929, écrasé à Toussus par une porte de hangar arrachée par la tempête. Son nom mérite d’être inscrit dans le mémorial de l’Aviation à une place d’honneur, car à cette école vinrent s’instruire tous les grands pilotes civils et militaires français et étrangers de cette époque.
ADAPTATION DU VOL EN P.S.V. AUX LIGNES AÉRIENNES FARMAN
L’Ecole de P.S.V. Farman étant créée, restait à divulguer ce nouveau genre de vol, Rougerie, sûr de ses résultats et entrevoyant la révolution qui devait s’en suivre dans l’exploitation des lignes aériennes, vint nous voir au Bourget pour nous expliquer son aventure en vol et les premiers résultats obtenus avec ses moniteurs.
Frappés par ses paroles, nous en discutâmes longuement Flitcroft, Génin et moi-même, et immédiatement convaincus nous décidâmes l’envoi immédiat et successif de tous nos pilotes à l’Ecole de P.S.V. de Toussus sans évidemment gêner l’exploitation régulière de notre trafic.
Je me dois d’ouvrir une parenthèse pour spécifier que, l’idée étant lancée par Rougerie, ce fut grâce à la collaboration énergique et efficace que m’apportèrent :
– Jean Flitcroft, notre chef d’exploitation, intelligent, travailleur, toujours ouvert aux solutions d’avenir.
– Gaston Génin notre chef pilote, adroit, obstiné, brave mais réfléchi, que cette méthode fut mise au point dans tous les détails puis appliquée en ligne d’abord par Génin, puis généralisé à tous les pilotes des lignes Farman pour être après finalement adoptée par toute l’aviation mondiale.
En commun, nous traçâmes comme programme d’avenir, maintenant que grâce au P.S.V., nous pouvions nous affranchir de la vue du sol, d’essayer :
1° de réaliser le décollage en P.S.V. en suivant l’axe dégagé de tout obstacle, axe qui serait donné par gonio, radiophare ou tout autre moyen à mettre au point;
2° d’effectuer toute l’étape prévue en volant en P.S.V. bien au-dessus de tous les obstacles, montagnes, situés non seulement dans l’axe du parcours, mais aussi dans son voisinage pour prévoir les fautes de navigation toujours possible, soit par suite d’erreurs de l’équipage ou du sol, soit par suite de dérèglements des appareils de navigation ;
3° de ne rendre la main que sur l’aérodrome de destination ou de dégagement et que dans l’axe désigné d’avance parce que libre de tout obstacle et matérialisé par gonio, radiophare ou autre moyen à réaliser.
Ces trois principes, si nous devenions capables de les appliquer par des mises au point successives, puis de les imposer systématiquement après instruction progressive de tous nos équipages, devraient à notre idée éliminer la presque totalité des accidents qui nous accablaient si fréquemment à cette époque.
La mise en pratique de cette nouvelle méthode de vol devait au préalable soulever de nombreux problèmes de sécurité qu’il fallut progressivement résoudre.
En effet, pour réussir nous devions disposer :
1 ° d’un avion non seulement capable de bien voler avec un moteur stoppé (la panne mécanique était très fréquente à cette époque), mais également de décoller avec un moteur arrêté et avec sa charge totale ;
2° d’instruments de bord fonctionnant avec une sécurité totale, donc doublés et protégés contre le givrage fréquent dans le vol dans les nuages ;
3° d’une liaison radio air-sol rapide et sûre, donc manipulée par des spécialistes, et élimination de la phonie trop lente et trop sujette à des erreurs.
4° d’une infrastructure terrestre d’aide à la navigation et à l’atterrissage ;
5° d’une météorologie précise pour la route et l’arrivée avec détermination localisée des zones de givrage.
En outre, en plus de l’adaptation du P.S.V. au vol proprement dit, il restait à vaincre les questions de décollage et de l’atterrissage sans visibilité ainsi que les dangers de givrage des cellules, des carburateurs et des instruments de bord.
Tous ces problèmes ont été successivement résolus au cours de l’année 1929 par une collaboration très étroite à laquelle nous fîmes participer tous les intéressés, et nous fûmes particulièrement favorisés par le fait que nous avions derrière nous une usine puissante dirigée par les Frères Farman qui, croyant en cette méthode, nous aidèrent de tous leurs moyens, collaborèrent également avec nous les Usines Gnôme et Rhône dont le Président P.L. Weiller nous soutenait ardemment pour la protection des moteurs contre le givrage, les fabricants d’instruments de bord et d’équipement radio.
A la suite de nos pressantes demandes, nous convenions au début de 1929 du matériel suivant :
1° Un avion : Le 24 avril 1929, nous recevions au Bourget le premier tri-moteur Farman Gnôme Rhône Titan, avion enfin entièrement réalisé pour une exploitation purement commerciale, avion encore fragile et pas très stable mais qui, à notre demande instante, avait été conçu pour pouvoir non seulement voler, mais décoller avec un moteur stoppé et sa pleine charge comprenant la charge marchande et le combustible lui donnant une autonomie de trois heures de vol, en plus de la longue étape de notre secteur qui était Paris-Malmœ soit 1.050 km.
2″ Planche de Bord : La planche de bord montée sur suspension élastique était équipée de :
a) deux contrôleurs de vol dont un pouvait au départ fonctionner sur la dépression du moteur pour permettre le décollage en P.S.V. et dont les venturis qui entraînaient les gyroscopes avaient été modifiés pour éliminer les dangers de givrage ;
b) deux altimètres, l’un ordinaire et l’autre très précis de zéro à 500 mètres ;
c) deux compas dont un à induction terrestre installé dans la queue de l’avion avec relais de lecture sur la planche de bord;
d) un clinomètre et ultérieurement un variomètre ;
e) un thermomètre extérieur pour surveiller la zone de givrage.
3° Equipement radio: l’ensemble fourni par Radio LL qui mettait en permanence un ingénieur à notre disposition comprenait un ensemble émetteur récepteur fonctionnant sur onde moyenne et exclusivement en télégraphie avec antenne fixe et pendante.
L’année 1929 fut nécessaire à la mise au point de ces ensembles et à l’entraînement des pilotes qui mettaient en pratique, même par beau temps, les méthodes de P.S.V. apprises à Toussus mais qui n’étaient utilisées par mauvais temps qu’exclusivement sur la ligne Paris-Bruxelles-Amsterdam.
A partir du mois d’août 1930 l’Usine Farman nous avait livré assez d’avions F. 300 pour nous permettre de les utiliser sur la ligne Paris-Cologne-Berlin et Paris-Francfort-Berlin et c’est sur ces parcours que notre chef pilote Génin et le chef radio Aubert ont poursuivi l’entraînement des équipages en collaboration de plus en plus étroite avec la radio au sol, dont le chef M. Quiquandon nous fut d’un appui précieux, ainsi qu’avec la météo dont le chef M. Leroy nous donnait également tout son appui. Dès cette époque la collaboration très étroite entre nos équipages et les Services Météo allemand et français a permis la progression des prévisions de la situation des lignes isothermes et de la Frontologie qui n’en étaient à cette époque qu’à leurs débuts.
PREMIER VOL MONDIAL EN P.S.V. TOTAL EXÉCUTÉ PAR GÉNIN LE 19 DECEMBRE 1930
Au début de l’hiver 1930-31, M. Henri Farman et moi-même, après avoir analysé les résultats intéressants déjà obtenus, acceptèrent la proposition de Flitcroft et Génin d’envisager à leur convenance un voyage exécuté entièrement en P.S.V. le jour où les conditions suivantes seraient réunies :
a) pas de passagers à bord ;
b) départ et arrivée bouchés;
c) parcours à effectuer sur l’Europe Centrale où la radio était de bout en bout la plus efficace.
Génin et Aubert poursuivirent leur entraînement spécialement sur ce parcours et plus particulièrement étudièrent une procédure d’approche à Cologne où devait théoriquement se terminer le vol envisagé.
Cet équipage d’élite, au moral formidable, absolument persuadé que cette nouvelle façon de voler, dans laquelle ils étaient passés maîtres, allait transformer l’aviation commerciale, voulait en faire la preuve et décida le 19 décembre 1930, après un examen sérieux de la météo et l’étude d’un dégagement éventuel, d’entreprendre le voyage prévu.
L’avion fut conduit au tracteur à l’extrémité Sud du terrain où débutait la ligne blanche tracée spécialement pour le départ des avions de « grand raid». Je dis bien au tracteur car il ne pouvait être question de rouler au sol pour joindre le point de départ tant le brouillard était dense (visibilité à peine 100 mètres).
Avant de décrire le vol, je me dois de rappeler le très important rôle joué par Guillon, adjoint de Flitcroft, que nous avions chargé, en raison de son passé d’Officier de Marine, de s’occuper de toutes les questions de cartes et de navigation; c’est lui qui avait dressé tout un ensemble remarquable de documents : cartes de route et plans d’approche après de nombreux vols exécutés avec cet équipage, documents que devaient utiliser Génin et Aubert au cours de leur vol historique.
Le décollage se fit normalement et aussitôt Flitcroft et Cuillon s’installèrent auprès de notre poste spécial radio qui assurait la veille de contrôle de nos vols, tandis que M. Quiquandon, chef des installations radio du Bourget, se portait au milieu de ses radios au poste de la Rosière spécialement alerté pour ce vol. Aucune crainte de brouille n’était à redouter car, seul, l’avion AJMK de Génin était en vol ce jour là!
Pendant que le vol s’accomplissait normalement la tension d’esprit était intense autour de l’opérateur qui assurait la veille; alors que l’appareil s’approchait de Cologne notre représentant sur cet aérodrome, M. Didier, avisa Flitcroft que M. Muller de l’aéroport de Cologne refusait l’autorisation d’atterrir à Génin à cause de temps totalement bouché ; malgré l’insistance de Flitcroft qui savait que Génin s’était préalablement entraîné pour cet atterrissage à Cologne, M. Muller opposa son veto formel et Flitcroft dérouta avec son accord Génin sur Dortmund que ce pilote connaissait également très bien, où les conditions de visibilité étaient un peu moins mauvaises et où l’atterrissage se fit normalement.
Une grande étape vers le progrès venait d’être franchie, mais le lendemain lorsque Génin rejoignit le Bourget tous ses camarades n’étaient pas tous unanimes à le féliciter. Cependant, tous continuèrent régulièrement leur entrainement progressif, plus particulièrement Félix Dufour, Pierre Robin et Portal. Ces quatre pilotes (avec Génin) devinrent célèbres dans nos escales brouillardeuses de Bruxelles, Cologne, Francfort, Dortmund, Hanovre, Hambourg, aussi bien auprès des services météo et radio allemands qu’auprès des équipages de la Compagnie Deutsche Lufthansa.
Progressivement tous nos équipages se mirent à décoller et accomplir normalement leurs étapes par très mauvaises visibilités, mais il restait à essayer de résoudre le plus difficile: l’atterrissage par très mauvaise visibilité.
MÉTHODE ZZ D’ATTERRISSAGE PAR MAUVAISE VISIBILITÉ
Notre chef pilote Génin assurait pendant les mois d’hiver le tronçon effectué de nuit sur Hanovre-Berlin, L’attention des Allemands fut attirée par son étonnante régularité, car malgré les fréquentes interdictions des Autorités allemandes, il prenait le départ et arrivait régulièrement au but. Notamment le 3 février 1931 où, après son atterrissage à Hanovre, le personnel de l’aérodrome fut obligé de venir chercher sur le terrain l’appareil à la main pour le conduire au hangar tant la visibilité était nulle !
Aussi, est-ce avec la collaboration de Génin que les autorités allemandes de Berlin-Tempelhof réalisèrent les premières ébauches de l’atterrissage au Z.Z. (Zénith).
Revenus au Bourget, Génin et Flitcroft, bien soutenus par le Commandant de l’Aéroport du Bourget M. Girardot ainsi que par tous ses services radio et météo, dont nous n’oublierons jamais la parfaite collaboration, se mirent à édifier la méthode Z.Z. après une série d’expériences réalisées avec un tri moteur que nous avions spécialement équipé en avion école et qui était pourvu devant le second pilote élève de rideaux opaques, lui empêchant toute visibilité du sol.
En même temps Génin, Aubert et Guillon mettaient au point une méthode
d’entraînement pour nos pilotes qui n’était autre que celle utilisée beaucoup plus tard sur le « Link Trainer » et qui consistait à porter sur graphique le trajet réel effectué par le pilote sous capote. Guillon se trouvait toujours à bord derrière l’élève et reportait sur un papier transparent posé sur la carte spécialement dressée par lui le trajet exact suivi par l’élève et ensuite à terre, les critiques permettaient d’améliorer la navigation de l’élève. Et c’est après une série d’essais effectués au cours de cette école que fut dressée la méthode de Z.Z.
Nous allons décrire cette méthode pour l’Aérodrome du Bourget où nous avons choisi comme axe d’atterrissage la plus grande longueur dégagée du terrain puisque par brouillard le vent étant nul il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Cet axe se situe entre Je 27° et le 43°.
Supposons un avion se trouvant à 70 km au large du Bourget dans le secteur Nord-Est et qui a fait -connaitre sa position reçue du poste du Bourget après détermination par les postes de Valenciennes et Romilly; il s’agit maintenant de l’aider à atterrir sans visibilité.
Admettons que cet avion ait reçu comme position Crépy-enValois, position A sur notre schéma; la radio du Bourget lui passe: Q.T.E. 47-44 km 14 minutes, ce qui signifie que le pilote dans 14 minutes à la vitesse de 180 km/heure, (vitesse de nos avions à cette époque) se trouvera à la verticale du Gonio du Bourget B. Au préalable, lui a été passée l’heure exacte ainsi que la pression barométrique au Bourget et le pilote a placé sur son chrono l’index sur l’heure à laquelle il doit se trouver à la verticale du gonio, tout en maintenant son avion à une altitude supérieure aux obstacles environnants, 300 mètres pour notre cas.
Depuis le moment où le pilote a pénétré dans le cône d’atterrissage il a reçu un QTS, ou vrai cap à suivre pour se diriger sur la gonio B, toutes les minutes et à partir du moment où il rentre dans la zone accélérée, et il recevra un QTS toutes les 20 secondes et sachant qu’il se trouvera à 3 minutes de vol du gonio, il descend à 100 m, altitude relevée par rapport au sol sur son altimètre spécial corrigé de la pression atmosphérique.
A ce moment, sous la seule et entière responsabilité de Flitcroft qui toujours dans cette occasion se trouve à la porte du poste gonio et qui perçoit le bruit des moteurs, il lui est transmis le signal « Moteurs» qui, pour le pilote, signifie « Attention » et dès que l’avion passe à la verticale du poste gonio, et bien dans l’axe d’atterrissage prévu, Flitcroft lui envoyait par le gonio le signal ZZ qui indiquait au pilote qu’il pouvait rendre la main pour son atterrissage.
Si par hasard le pilote ne se présentait pas bien à la verticale du gonio et dans l’axe prévu le signal ZZ ne lui était pas envoyé et le pilote devait reprendre de l’altitude et recommencer son approche.
Des rampes obliques d’éclairage CD ainsi que des traits différents tracés à la chaux ont été ultérieurement disposés pour faciliter la tâche délicate de l’équipage.
A notre compagnie un climat enthousiaste était créé, les résultats de la collaboration Flitcroft, Génin, Guillon, bien soutenus par toute l’administration du Bourget, Aéroport, Radio, Météo étaient évidents et l’arrivée de nos avions par mauvais temps mobilisait l’attention de tous au Bourget.
Mais en dehors de notre compagnie régnait un certain scepticisme résumé par les deux exemples suivants : ayant personnellement convoqué quelques pilotes et journalistes à une démonstration d’atterrissage en ZZ au Bourget fin 1932 avec l’avion école équipé de rideaux et Flitcroft muni de lunettes noires au poste de gonio afin de nous mettre dans les conditions de manque de visibilité et, après un atterrissage remarquable de l’équipage Génin-Aubert ayant cinq journalistes à bord, des remarques furent faites signalant la méthode comme dangereuse et se rapprochant d’un exercice de cirque ! ! sic.
Un peu plus tard à Toussus, nous décidâmes de faire un exposé de la méthode ZZ devant un groupe d’officiers supérieurs venus visiter l’Ecole Rougerie de P.S.V. Après un exposé de Coupet suivi d’une exposition de la méthode ZZ par Flitcroft, les officiers tinrent une réunion à huis clos pour nous déclarer ensuite que cette méthode n’intéressait pas la défense nationale!!!
Mais rien ne peut jamais arrêter le progrès et pendant que nos résultats se consolidaient dans d’autres compagnies, de grands pilotes comme : Durmon de la Cidna, Cockaert de la Sabena, Smirnoff, de la KLM, von Nouk de la DLH, se lançaient dans le P.S.V. et obtenaient des résultats remarquables, et je me souviens encore des visites de Noguès, Mermoz, Guillaumet, vivement intéressés par nos résultats.
Mais par suite de la généralisation progressive des vols en P.S.V. les arrivées au Bourget devenaient dangereuses et j’ai encore dans mes archives la narration de la :
DANGEREUSE JOURNÉE DU 10 NOVEMBRE 1932
où tous les avions des lignes Farman ont effectué régulièrement leurs services, mais où les avions de la K.L.M., des Imperial Airways et de l’Air Union tournèrent longuement au-dessus de l’aéroport du Bourget sans pouvoir se poser, mais en risquant ainsi de graves collisions.
PSV
Dans ma lettre adressée le 19 novembre à la Direction de l’Aéronautique Civile, 37, avenue Rapp, je précisai mes craintes et je demandai qu’une réunion soit très prochainement organisée pour étudier ce problème nouveau, fixer une doctrine et rédiger des consignes formelles pour éviter ces risques de collision.
Girardot, Commandant de l’Aéroport, toujours disposé à travailler pour l’avenir, présida le 22 novembre 1932 une réunion au Bourget à laquelle assistaient tous les chefs de service du Bourget, Radio et Météo, ainsi que tous les représentants et chefs pilotes des différentes compagnies françaises et étrangères atterrissant au Bourget.
Sur notre demande, il fut immédiatement décidé :
1 ° Que les avions arrivant simultanément au Bourget n’auraient le droit d’atterrir qu’en respectant un ordre de priorité délivré sous la seule autorité du Commandant de l’Aéroport,
2° Qu’en attendant leur tour d’atterrissage, les avions devraient tenir dans des zones et des altitudes échelonnées fixées par le Commandant de l’aéroport.
3° Que pendant ces manœuvres, seule la radio serait utilisée à l’exclusion de la téléphonie trop lente et la radio télégraphie trop sujette à erreurs,
4° Que pour les manœuvres d’approche la méthode Farman d’arrivée dans l’axe dégagé du Bourget entre le N 27 et le N 43 ainsi que la méthode d’atterrissage au ZZ serait seule autorisée sous réserve que la responsabilité de donner le ZZ à l’équipage soit exclusivement prise par le représentant responsable de la compagnie intéressée.
Au cours de cette réunion historique la charte de l’arrivée des avions sur les aéroports venait d’être fixée.
Peu de temps après le Comité Technique de l’IATA ou je présidais à cette époque rendit ces consignes obligatoires sur tous les aéroports utilisés par les compagnies adhérentes à l’IATA.
Pratiquant de plus en plus ces méthodes de vol en P.S.V. et d’atterrissage en ZZ, les pilotes de lignes Farman se rendirent progressivement compte de la nécessité d’apporter les améliorations suivantes :
1 ° Implantation d’un gonio exclusivement réservé à l’atterrissage et situé dans l’axe d’atterrissage et sur la bordure Nord immédiate du terrain.
2° Utilisation d’une longueur d’onde spécialement réservée aux manœuvres d’approche (pour éviter les brouillages de l’onde de 900 m) et destinées à transmettre en valeurs magnétiques les relèvements pour leur utilisation rapide directe.
3° Utilisation d’un gonio de flanquement judicieusement placé (création d’un gonio à Reims et amélioration du gonio de Romilly) pour permettre à l’équipage de connaître sa position précise en profondeur sur l’axe d’arrivée.
4° Installation d’une ligne lumineuse facilitant l’alignement après la percée de la couche brumeuse (le balisage des poteaux du Câble Loth avait confirmé cette idée).
Ces différentes demandes précisées dans mes lettres des 12 décembre 1932 et 10 février 1933 à la Direction de l’Aéronautique Civile reçurent rapidement satisfaction et firent que l’aéroport du Bourget fut reconnu par tous les pilotes de ligne qui le fréquentaient à cette époque comme l’un des plus sûrs et des mieux équipés d’Europe pour l’arrivée par mauvaise visibilité.
Toutes ces améliorations progressivement apportées, ainsi que l’entrainement progressif de tous nos équipages contribuèrent à une amélioration spectaculaire de notre régularité ainsi qu’en font foi les statistiques suivantes :
Etapes à effectuer Etapes annulées Régularité
1928 …….. 3.797 310 91,8 %
1929 …….. 5.240 263 95 %
1930 …….. 4.384 224 94,8 %
1931 …….. 4.931 139 97,1 %
1932 …….. 3.773 28 99,3%
1933 …….. 1.398 1 100 %
en 1933 cinq mois jusqu’à la fusion AIR FRANCE.
Cette régularité totale fut adoptée par des équipages dont les noms ne doivent pas être oubliés :
Chef Pilote: Génin, Pilotes : Dufour, Engelhard, Favreau, Lafannechère, Maurens, Portal, Robin.
Chef Radio : Aubert, Radios : Bouchard, Courtois, Dies, Dousselin, Le Plouhinec, tous radios brevetés de la Marine.
Et sur des parcours du Nord et de l’Est de l’Europe presque toujours recouverts de brume pendant la mauvaise saison.
Tout ce qui précède va sans doute paraître bien simple à tous les équipages qui maintenant utilisent des procédés d’approche bien étudiés et bien appuyés par des aides à la navigation perfectionnés tels que : Radar, I.L.S., Radio-phares, etc… mais qu’ils n’oublient jamais les pionniers qui avec des moyens simplifiés ont les premiers réussi à triompher du mauvais temps et la part immense que l’équipe FARMAN prit dans cette victoire. En effet, nous le rappelons avec insistance, c’est cette EQUIPE FARMAN qui a:
– créé le P.S.V. et l’Ecole de P.S.V. en 1928,
– exécuté le premier vol mondial en voyage P.S.V. le 19-12-1930,
– créé la méthode d’atterrissage ZZ en P.S.V. en 1931,
– contribué en 1932 à l’établissement de la Charte d’accès par mauvaise visibilité aux aéroports, dont les grandes lignes sont encore actuellement toujours appliquées,
– réalisé la première au monde une régularité de 100 % en 1933.
Cette équipe FARMAN avait ouvert la voie de l’avenir car : la défection mécanique étant vaincue par l’utilisation généralisée du multi-moteurs,
le mauvais temps vaincu par l’emploi généralisé des méthodes de vol en P.S.V., le développement extraordinaire de toute l’aviation commerciale allait immédiatement en découler !
Heureux d’avoir eu l’occasion, aidé par les souvenirs et les documents de Lucien Coupet et Jean Flitcroft, de retracer dans ces lignes une page fondamentale de L’HISTOIRE DE L’AVIATION COMMERCIALE, je salue la mémoire des équipages tombés en cours de route et je remercie tous ceux qui m’ont permis de vivre ces longues, dures mais exaltantes heures. Je demande à ceux que j’ai pu oublier dans le rappel de ces déjà lointains souvenirs de bien vouloir croire que seul mon grand âge est l’excuse de cet oubli.
Jean BRUN, Ancien directeur des Lignes FARMAN.
ICARE – 1968 N° 45 – Source gallica.bnf.fr / BnF
Extraits : Gérard Finan – Aeriastory